ForeCast #15 - Les coulisses du financement

Romain Boulvais - Cash & Financing Manager chez Grape Hospitality

Découvrez les coulisses des instruments financiers de 4 grands domaines d’activité avec Romain Boulvais 🎙️

Dans cet épisode, nous avons eu la chance d’accueillir Romain, en charge de la trésorerie et du financement du groupe Grape Hospitality,  qui nous présente différentes stratégies de financements adaptées à plusieurs secteurs d’activité. ⚙️

Au programme de cet épisode :

👉 le risque de change et la saisonnalité du secteur agroalimentaire

👉 le domaine des matières premières, mécanisme de borrowing base, leasing et GAPD

👉 le financement de la publicité, le duo distributeurs-banques et le travail de terrain dans l’audiovisuel

👉 le financement en hypothécaire et la crise sanitaire en hôtellerie

Transcription de l'épisode

Bonjour Romain, merci d’avoir accepté mon invitation. Peux-tu te présenter ?

J’ai fait une école de commerce terminée en 2011. Entre-temps j’ai cumulé environ 11 ans d’expérience en trésorerie dans différents milieux et différents lieux : Lille, Paris, Genève, Luxembourg où je suis aujourd’hui. En tout, je suis passé par 4 entreprises différentes. 

Je pense que c’est important dans une carrière, et c’est aussi pour ça que j’ai accepté ton interview, de montrer aux plus jeunes les opportunités de vie qu’on peut avoir dans une carrière. La trésorerie n’était pas un milieu très connu en école de commerce, et j’ai pris l’opportunité où elle se présentait. J’ai eu l’opportunité d’arriver en trésorerie en 2011, puis j’ai continué tout au long de ma carrière. Et lorsque tu m’as proposé l’interview, je me suis demandé ce que la photo de ma carrière de 11 ans pouvait refléter et ce qu’on pouvait composer dessus. 

Q : Peux-tu nous en dire plus sur le contexte opérationnel du secteur de l’agroalimentaire ?

R : C’était une entreprise cotée en bourse dans le nord de la France, avec une trésorerie assez large puisqu’à l’époque on était une demi-douzaine centrés sur la France.
 

C’est une entreprise qui fait beaucoup de développement, qui était sur trois continents à l’époque et qui développe beaucoup de problématiques trésoreries sur du long terme, des financements d’acquisition et sur des problématiques de BFR. 

Q : Par quoi l’activité du secteur agroalimentaire est-elle la plus impactée ?

R : La vraie problématique de ce type d’entreprise, c’est que c’est une entreprise saisonnière. Ils font les récoltes à peu près au printemps et ensuite, tout au long de l’année, on vend les récoltes. On aura des gros paiements de fournisseurs lorsqu’on va semer, donc plutôt à la fin de l’année, et ensuite on sera cash riche plutôt au printemps. C’est pour ça qu’il y a des grosses problématiques de saison et de BFR et c’est là qu’intervient tout le pouvoir du trésorier de rassurer la direction financière de l’entreprise : de dire que lorsqu’on est cash riche on essaie de placer l’argent au mieux, sachant qu’aujourd’hui c’est plus vraiment le cas à cause des taux négatifs. 

Quand il y a plus de problématiques de payer les fournisseurs et qu’on est un peu dans le creux de la vague, on a des financements qui nous permettent de tirer : je pense aux créances, je pense à des RCF, il y a évidemment des découverts bancaires qu’on négocie avec les banques, que ça soit des banques françaises, allemandes, belges même américaines. C’est toute une organisation à avoir pour essayer de montrer qu’on a une vraie force de frappe et qu’en terme de BFR on a l’opportunité de tirer sur beaucoup d’instruments qui nous permettent de ne jamais être en difficulté financière.

Q : Existe-t-il des données externes, propres au secteur de l’agroalimentaire, utiles pour prévoir les besoins en trésorerie ?

R : Dans chaque pays, on mettait en place des directions financières et tout au long de l’année, on avait des points réguliers pour savoir quels étaient les prévisions de chaque pays. Au niveau de la trésorerie, un exemple assez commun c’est de dire : si on a des récoltes qui se font en Pologne avec du pln, on va avoir un budget du taux de change au début de l’année. Si on sait que la Pologne est plutôt vendeur qu’acheteur, on va prendre un budget vendeur et on va se demander quel est le taux de change pour mettre les instruments en place à terme sur le marché en disant qu’on va couvrir trente ou quarante pour cent de notre besoin en change de l’année dès le début d’année. Et progressivement, au fur et à mesure de ces problématiques de climat de récolte, vis à vis de ce que nous disent les DAF en région, on va pouvoir ajuster ces problématiques de change en fonction de ce qu’on prévoit en termes de chiffre d’affaires. 

Evidemment, on sait que les entreprises agroalimentaires sont très sujettes à des variations de chiffre d’affaires qui sont dues au climat et peut être que ça va s’accélérer dans les prochaines années. J’avais lu qu’environ quatre entreprises sur cinq ont leur activité qui est liée au climat directement ou indirectement, mais c’est vrai que l’agroalimentaire est encore plus marqué par ça. 

Ca impacte les trésoriers de manière importante. 

Q : Le secteur des matières premières doit lui aussi être impacté par d’éventuels imprévus. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

R : Il s’agissait de la vente de ferreux et non ferreux, principalement en Europe vers des pays qui produisent comme la Turquie, la Chine, tous ces pays qui sont plutôt asiatiques. Il y avait un une grosse activité de recyclage et de vente de matières premières : du cuivre, du laiton, toutes ces choses-là. 

Les matières premières sont vraiment à la base de l’économie ; sans elles, on ne peut pas faire grand-chose et c’est pour ça qu’on vend tout en Asie pour qu’ils puissent produire ensuite. 

On avait un fort besoin en BFR. Quand on achète des matières premières pour les recycler, pour les vendre, il faut évidemment financer ce BFR. Donc ce que l’on disait aux banques et ce qu’on avait mis en place c’était un instrument financier qui s’appelle la bowing base et qui permet de pledger des actifs sur du court terme.  

Ça va permettre de pledger des créances qu’on a, des stocks et de la tva. On fait un rapport toutes les semaines, donc tous les ans on négocie un nouveau contrat à peu près, et ensuite on leur dit que l’on va avoir un paquet de BFR qui va être – je dis n’importe quoi – à peu près cent ou deux cents millions d’euros de BFR, ce qui est beaucoup. 

Puis, chaque semaine, on dit qu’on a tant de créances clients qu’on peut mettre en pledge, avec évidemment une décote qui va être 60% ou 70% à peu près de l’actif qu’on va garder in fine dans ce financement. On va dire qu’on a des stocks qui sont sur place, qu’on va avoir une décote à 10% donc on va prendre 90% de la valeur des stocks. Et tout ce global va nous permettre d’avoir un financement uniquement court terme au niveau des banques. Et ça, ça nous permet de simplement financer le BFR mais c’est très important pour les entreprises en termes de matières premières et c’est ce qui permet de couvrir l’achat pour avoir des ventes ensuite en Asie.

Q : Ce principal type de financement représentait-il une grosse part de l’ensemble de vos financements ?

R : Oui, ça représentait un gros morceau. C’est très important car ça concerne la vie de l’entreprise. Dans ce type de marché, il y a bien d’autres problématiques, par exemple la problématique des leasings. Pour transporter des matières premières, il faut évidemment employer des bateaux, ça peut aussi être des camions. Soit vous les achetez, soit vous les mettez en leasing.  

Le leasing est une forme de financement comme une autre et ce qu’il faut savoir c’est que les banques sont assez friandes de ce type de financement et selon le type d’actif. Prenons l’exemple des bennes : la banque se demandera comment elle revendra la benne si votre entreprise tombe en faillite.  

Par contre, ça ne sera pas le cas pour un camion car beaucoup d’entreprises sont susceptibles de le vouloir. C’est facile, un camion vaut facilement cent mille euros. Donc c’est aussi de la bowing base pour le BFR, du leasing pour transporter des matières premières. 

J’ai une anecdote sur le leasing : on avait essayé de faire un leasing sur des barges pour transporter des matières premières sur les fleuves en France. C’est très compliqué de financer une barge, parce que si votre entreprise tombe en faillite, demain la banque aura du mal à vendre cette barge. Et ce que je ne savais pas mais que j’ai appris, c’est qu’une barge peut vivre jusqu’à 50 ans, sauf qu’après 25 ans, alors que vous avez amorti la barge en théorie et que vous dites à la banque que la barge est encore largement vivable, il faut trouver un banquier spécialisé en barge, ce qui est loin d’être évident. S’ajoute à cela le fait de devoir la réimmatriculer.  

Mais c’est tout ce type de financement dont le trésorier est en charge et qu’il doit faire pour optimiser le cash. 

Une autre chose qui est aussi important dans notre métier des matières premières c’est tout ce qui est garantie à première demande. Il y a des marchés qu’on passe avec de grandes entreprises : la SNCF pour ne pas la citer. La SNCF revend ses trains. Un train comporte beaucoup de matières premières, du ferreux et non ferreux, donc les entreprises qui recyclent ça et qui revendent derrière le laiton, le fer etc., sont très friandes de ça et ça représente des marchés absolument énormes, des dizaines de millions d’euros. 

Sauf qu’en réalité, quand la SNCF accepte de vendre son train, qu’est-ce qui leur dit que l’entreprise ne va pas simplement prendre un bout du train et tomber en faillite en leur laissant le reste du train sur les bras ? Donc la SNCF nous demande d’aller voir les banques pour obtenir une garantie à première demande qui va leur permettre d’être rassurés et que si on a un problème financier demain, ils seront financés derrière. 

Ca représente des sommes très simportantes et ce qu’il faut savoir, c’est que les garanties à première demande sont en réalité des chèques en blanc. Donc tout ça sous-entend que l’entreprise qui fait ça doit avoir des relations bancaires qui sont vraiment excellentes avec ses banques. Ce n’est pas facile à obtenir, tous les trésoriers le savent. Il faut donner du side business aux banques pour qu’elles s’alimentent. On leur dit qu’on leur donne du leasing avec des camions qui sont relativement rentables, eux nous donnent des garanties à première demande qui nous permet de faire du business tout le monde sera content. 

Q : Cela réduit-il le nombre de banques avec lesquelles travaille le trésorier ?

R : Tout ce qui touche aux matières premières est relativement sensible. Il y a quelques années, BNP a dû payer une forte amende de la part des américains parce qu’ils avaient utilisé du dollar pour les opérations qui étaient un peu grises on va dire.  

Quand on parle de matières premières, c’est vrai que certaines banques deviennent un peu frileuses. Néanmoins, il y a encore beaucoup de banques qui financent des matières premières. 

Le fait est d’avoir un panel de banques assez large pour essayer d’optimiser ça, sachant qu’on ne peut pas non plus demander à une banque d’avoir une exposition sur des garanties à première demande de 20 ou 30 millions d’euros aussi facilement que ça. Il faut qu’il y ait un sales business à côté qui n’est pas évident. 

Q : Tu as aussi travaillé dans un secteur extrêmement différent : celui de l’audiovisuel. Peux-tu nous en parler ?

R : Basiquement, on fait de la production de films. La production de film est assez simple à résumer : il y a un choix de projet qui est fait par la société de production, ensuite on le propose à des distributeurs qui sont en Europe et dans le monde entier, on leur explique le projet, le scénario, les stars, etc. Et on leur demande s’ils souhaitent financer le film. Ils vont préfinancer ce film, ce qui va nous permettre de lancer le projet et aussi d’avoir une sorte d’accord en disant que si eux nous font confiance, en théorie les banques nous feront confiance aussi. 

Le préfinancement est assez faible par rapport au financement qu’on aura des banques mais ça peut représenter quand même plusieurs millions d’euros. C’est plus un effet d’accord, c’est à dire que si eux nous font confiance et s’il y a des gros distributeurs qui vous font confiance, ça veut dire que non seulement ils vont vous financer, mais ils vont aussi vous distribuer, et ça c’est très important. 

On a des financements à long terme derrière après qui tomberont et qu’on a beaucoup négociés, il faut le dire, avec des banques aux Etats-Unis, en Californie, parce que c’est là-bas que tout se passe au niveau des films. Donc on finance ça aussi au niveau des banques classiques. 

Après, il y a des subventions qui se font au niveau français avec le CNC qui va allouer des financements selon environ une centaine de critères si je ne dis pas de bêtises : si la langue est en français, si le réalisateur est français, etc. Tout ça est évidemment très lié à la France. Ca permet d’avoir des financements qu’on ne va pas rembourser. 

Et tout ça vous fait votre financement de film. 

En ce qui concerne le financement des banques et le remboursement : ce que vous allez faire en ventes dans les salles, celles que les distributeurs vous ont allouées, va servir de chiffres de base pour votre modélisation dans les futures ventes en VOD. C’est à dire que si vous faites une grosse semaine – et c’est pour ça que c’est très important pour les films de faire une première grosse journée – ça va vous permettre de modéliser correctement ce qui va se passer dans les semaines à venir, puis ce qui va se passer en VOD 

Donc tout ça permet de modéliser correctement et c’est pour ça qu’aujourd’hui ce qui se passe en termes d’audiovisuel dans le monde, avec Netflix, Disney + et toutes ces plateformes directement en VOD, ça pose problème parce qu’il n’y a plus de ventes en salle. Donc la modélisation des ventes restructure un peu le marché et ces entreprises-là. 

On utilisait une bowing base qui permettait de financer ces créances en disant qu’on avait tant de VOD qu’on va vendre à Canal +, Netflix, etc., qu’on allait les recevoir de tel ou tel distributeur. Puis, on les mettait en pledge dans cette bowing base. Donc la banque nous prête là-dessus, on leur donne des contrats puisque tout est contractualisé (on sait que Canal + va nous acheter tel ou tel film ou série et qu’ils vont nous payer dans 2 ou 3 mois). Il y a évidemment une décote.  

Ca nous permet de financer le BFR. C’est uniquement du court terme. De ce point de vue-là, c’est assez similaire vis à vis de l’entreprise précédente qui traitait des matières premières. 

Q : En tant que trésorier, es-tu en contact avec les partenaires, tels que les distributeurs dans l’audiovisuel ?

R : Je trouve que ce qui est bien en tant que trésorier, c’est aussi de s’investir un peu dans le core business, essayer d’aller voir ceux qui sont vraiment dans les deals. Pour une société à Hollywood et ceux qui sont en Californie qui disait avoir un financement, on signait un contrat globalement et on pouvait tirer sur ce financement pour des projets de films à condition de créer Conditions Precedent qui étaient parfois compliqués à avoir. 

Par exemple, pour libérer le financement de ces films-là il fallait montrer le scénario entier, le script entier, le déroulement du tournage du film qui pouvait avoir lieu dans trois ou quatre ou cinq mois, ce que les équipes techniques n’ont pas forcément. Je me rappelle qu’une fois il fallait montrer aussi la visite médicale de la star qui allait venir. Il fallait dire qu’elle avait bien passé sa visite ou non pas encore et on était bloqués parce qu’en fait la star ne voulait pas y aller, qu’elle avait un retard, etc. 

Ce genre de chose demande au trésorier d’aller voir les équipes opérationnelles sur le terrain. C’est un travail que doit faire le trésorier je pense au quotidien et pas seulement dans les entreprises de l’audiovisuel : être proche de l’opérationnel pour essayer de comprendre le business. 

C’est important aussi dans l’approche des banques en réalité. Ce qui se passe c’est qu’il y a de temps en temps des dépassements de budget, donc ça il faut que le trésorier soit au courant parce qu’il y a un budget qui va être alloué et qui est financé par la banque, mais s’il y a un dépassement de budget il ne sera pas nécessairement être financé par la banque. Il faut alors que le trésorier pioche dans les réserves sur du BFR qu’il a un peu provisionné. 

Dans l’audiovisuel, il faut savoir qu’environ 15 ou 20% du budget sera alloué à la pub. Je prends exemple sur un film de 100 millions d’euros, si vous faites moins de 15 ou 20 millions d’euros de pub, le film ne marchera pas. 

C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis qui est un grand pays : si vous avez un faible budget pub, ça ne va pas marcher. Et étant donné qu’il est très important que le film fonctionne, notamment en salles, il faut mettre de l’argent dedans. 

Or les banques, en général, ne financent pas la pub. Donc il faut le piocher dans le BFR, dans les réserves, et ça c’est quelque chose qu’on doit anticiper, même presque négocier en réalité parce que les opérationnels veulent toujours plus dépenser naturellement. 

La trésorerie doit être un peu celle qui dirige et qui met des barrières et des conditions sur le montant en cash à dépenser. C’est aussi ce genre de choses dont il faut parler avec les autres personnes. 

Q : Peux-tu nous parler de l’hôtellerie, le secteur dans lequel tu exerces actuellement en tant que trésorier ?

R : Je travaille pour l’entreprise Grape Hospitality, qui est franchisée Accor, depuis 2016 en tant que Trésorier Groupe. On dirige les hôtels avec les murs et les fonds de commerce, l’opérationnel, et on fait également de la gestion pour compte de dans d’autres hôtels et auberges de jeunesse pour le compte de nos actionnaires. 

C’est un business assez connu mais avec quelques particularités car toutes les entreprises n’ont pas forcément les murs et fonds de commerce, c’est souvent soit l’un soit l’autre. En faisant les deux, ça nous permet d’avoir un business relativement fluide, y compris avec les thématiques PGE et COVID. 

Q : Quels sont les besoins de financement sur ce type d’activités dans l’hôtellerie ?

R : On ne fait presque que du prêt hypothécaire parce qu’on a des murs et fonds de commerce. Donc on ne finance que de l’hypothécaire sur les murs. 

C’est un type d’emprunt qui est assez sécurisé pour les banques en réalité. Evidemment, quand on finance un prêt de dix millions d’euros on prendre sécurité un peu plus forte de 10%, ce qui fait que la banque pourra toujours se sécuriser.  

Quand on fait un prêt hypothécaire, il y a des valeurs d’expertise qui sont faites en général tous les six mois ou tous les ans pour sécuriser la banque : la banque va régulièrement savoir que l’actif n’a pas déprécié, ce qui est très important, on l’a vu notamment lors de la crise du covid. 

Ensuite, on prend ce qu’on appelle le LTV, le loan to value : sur un loan de 50 millions, il faut que votre valeur d’actifs, en général les murs, ne représentent que 60 ou 70%, en fonction des banques, de votre valeur à date. Cela donne une vraie marge à la banque pour être sécurisée, et nous pour avoir un leverage qui soit correct. 

Q : Qu’est-ce qui est le plus difficile à gérer dans la mise en place de tous ces financements ?

R : On a un BFR négatif puisque quand les clients arrivent, ils paient directement leurs chambres. A la différence de toutes les activités que j’ai connues avant, on n’a pas de BFR à financer parce qu’il est négatif. Les clients paient et nous on paie les fournisseurs 30 ou 60 jours après. 

Donc on ne finance que des acquisitions de manière globale. On peut financer aussi la TVA quand on fait des acquisitions et on finance des CAPEX. 

On va vraiment négocier avec les banques pour leur montrer qu’on a un BP et qu’il est totalement réalisable, que le taux d’occupation dans nos chambres est correct, que la marque qu’on a dans nos hôtels est totalement viable et visible. 

Evidemment, on a été un peu choqués par le COVID ces deux dernières années. Pour en dire 2 mots, ça n’a été simple pour personne, en particulier pour le secteur hôtelier. Je sais qu’il y a d’autres secteurs qui ont été très impactés comme l’aéronautique. 

Je me souviens qu’en mars 2020, tous nos hôtels ont fermé parce que tous les pays en Europe ont demandé la fermeture administrative. Ce n’était pas obligatoire mais puisque les clients ne bougeaient plus, au bout d’un moment on est obligés de fermer. 

On les a donc fermés en totalité et on les a rouverts 45 jours. Après c’est progressivement revenu. Et c’est là aussi qu’on voit l’utilité du trésorier : avoir un niveau de cash qui est suffisant ou alors une situation d’endettement suffisante.  

Nous, on n’a pas de RCF en place parce qu’il faut un sous-jacent derrière. On avait une situation cash assez confortable pour amortir le choc le temps que les aides, le chômage partiel et les subventions arrivent. Donc on a passé la crise de manière correcte. 

Deux ans après, on revient à un niveau quasiment équivalent à celui de 2019. C’est là aussi que le trésorier est utile : on a monté 4 PGE dans 4 pays différents, donc il faut aller voir chaque banque, leur prouver qu’on est une entreprise qui est viable, parce qu’à l’époque personne ne savait ce qui allait se passer. 

Accor Invest a levé 1 demi milliard de PGE notamment grâce à Bruno Le Maire à l’époque. C’est très important d’avoir des accords et des relations avec les banques qui soient des relations de confiance. 

Frédéric Oudéa, il y a 2 ans, avait dit dans une interview que les banques et les trésoriers ont sauvé le monde en 2020. Je pense que c’est vrai, on tape beaucoup sur les banquiers et les trésoriers sont très peu visibles dans le monde de la finance et des corporates en général, mais là c’était un peu “Time to shine”. 

Au moment où il faut des financements en urgence, avec des lois qui sont très compliquées, parce que je pense que les banquiers parfois eux-mêmes ne savent même pas ce qu’ils signent réellement, leur date de remboursement, à quel prix, etc., l’important est d’avoir des relations de confiance avec les banques. On va les voir environ tous les 3-6 mois, on leur montre ce que l’on fait et quand il y a un problème, elles sont là.  

C’est tout simplement ça qu’il faut aussi montrer aux trésoriers qui commencent. 

Que t'ont appris les grand changements tels que le COVID ou plus actuel, la guerre en Ukraine ? Vois-u des évolutions à venir au niveau du métier de trésorier ?

Depuis 2 ans, les banques se sont rendu compte qu’il est très important de s’intéresser au business des entreprises avec lesquelles elles travaillent. Je ne dis pas que c’était pas le cas jusqu’à maintenant, mais ça l’est encore plus aujourd’hui.  

Il y a des banquiers qui sont très intéressés, d’autres moins, mais il faut aussi que les entreprises et les trésoriers, qui sont vraiment en frontline au niveau des banques, prennent le temps d’aller voir leur banquier et les opérationnels. 

Pour moi, le trésorier est le trait d’union entre les opérationnels et les banques. Il est aussi un peu l’image de l’entreprise vis-à-vis des banques donc demain, s’il y a une crise, il faut pouvoir actionner tous les leviers possibles pour faire en sorte que l’entreprise résiste à la crise. 

Avez-vous souffert d’une diminution de la clientèle russe ?

Assez peu, parce que sommes positionnés majoritairement en province. On a quelques hôtels dans des villes notamment à Vienne et à Rome. Il y a en effet à Vienne quelques clients russes ou en tout cas d’Europe de l’Est qui viennent. 

On prend le risque en amont, on essaie de regarder un peu ce qui peut se passer. En janvier 2020, ça faisait quelques mois qu’on était en train de négocier pour releverager des loans seniors qu’on a sur Grape Hospitality, donc plusieurs dizaines de millions d’euros avec des banques importantes en France. Tout se passait bien, on était confiants. Fin février 2020, peu de gens s’inquiétaient. Et d’un coup, les banques brandissent un red flag et disent qu’elles arrêtent tout. Je me rappelle personnellement me dire qu’il n’y avait pas besoin de stresser. Quinze jours après, la France et tous les pays d’Europe fermaient. Et on était à deux doigts de poser un financement qui aurait pu faire l’histoire parce que ça aurait été juste avant le COVID. 

Moralité : il ne faut jamais croire que ça ne va pas arriver. On n’est jamais trop prêt. 

C’est pour ça que régulièrement, tous les trimestres ou semestre, il faut montrer aux banques qui on est, ce qu’on fait, qu’on est là si elles ont besoin d’informations. Il faut jouer la transparence et la proximité.  

Il faut aussi regarder au niveau de la comptabilité comment on peut faire circuler le cash. Par exemple si un pays est en crise parce que l’Italie a fermé au début du covid et que tu as du cash en France, la question est comment faire pour transférer le cash de la France à l’Italie. Par des conventions de compte courant qu’il faut mettre en place un peu en amont ? Des diminutions de capitaux propres ? Au Luxembourg par exemple, on a le compte 115 qui nous permet de remonter plus facilement du cash. 

C’est une part qu’il faut regarder avec la compta et il faut être prêt en fait pour le faire assez rapidement. 

As-tu des conseils pour les jeunes trésoriers ou ceux qui aspirent à l’être ?

Les opportunités sont importantes. Il faut essayer de rencontrer des trésoriers groupes. J’en ai rencontré beaucoup dans ma vie, c’est généralement des gens qui ont beaucoup d’expérience, qui sont aussi très curieux parce qu’il faut essayer de l’être. 

Le conseil que je donnerais c’est simplement que selon le business dans lequel vous allez évoluer, vous n’aurez pas le même type d’instruments financiers que vous allez utiliser. Ça ne sera pas sur la même durabilité. C’est ce que je disais sur la bowing base : vous allez avoir des rapports qui vont être quasi sur la semaine ou sur deux semaines, donc ça va être très rapide et il va falloir travailler très régulièrement. 

Et puis sur le real estate ou sur l’hôtellerie c’est des financements qui durent parfois sept, dix ans. Ce n’est pas la même façon de travailler.  

Le métier de trésorier est très divers, donc je pense que le mieux c’est de travailler dans beaucoup de boîtes différentes et essayer de comprendre comment ça marche. Ça donne aussi beaucoup d’imagination et de créativité. 

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