– Bonjour Céline, merci d’avoir accepté mon invitation, comment vas-tu ?
– Ça va très bien, tout va bien malgré ce contexte un peu particulier.
– Parfait.
Aujourd’hui, on va parler du sujet de la relation entre le trésorier et sa banque, donc la relation bancaire, sujet très important pour les directions de la trésorerie. Est-ce que tu peux dans un premier temps te présenter ?
– Oui, bien sûr. Je m’appelle Céline Mignaton Jalbert, je suis Directeur adjoint de la trésorerie du groupe Oberthur et je travaille chez Oberthur depuis une quinzaine d’années.
Peux-tu présenter un peu ton activité et ses particularités ?
R: Je travaille au sein de François Charles Oberthur, qui est la holding du groupe Oberthur. L’une de nos principales activités est notre activité industrielle qui est représenté par notre filiale Oberthur fiduciaire et est l’un des leaders mondiaux de l’impression de haute sécurité, notamment pour l’impression et la livraison de billets de banque et de documents sécurisés à travers le monde. Notre activité principale est hors France. Pour l’impression de billets et même pour les documents sécurisés, on travaille principalement avec le continent africain. Aujourd’hui on a 3 sites de production dans 3 pays européens, en France, en Bulgarie, en Hollande. Oberthur fabrique et livre des billets de banque et des documents sécurisés. La part de l’exportation représente un peu plus de 98% de notre chiffre d’affaires. Donc on est vraiment une entreprise internationale.
Q: Quelle est votre exposition au change sur ces 98% ?
R: On a une exposition au change importante, notamment sur le dollar, à peu près 40 à 50%.
Comment est organisé le département trésorerie de ton groupe ?
R: Nous sommes 3, il y a le Directeur de la trésorerie qui chapeaute le service trésorerie, et plus particulièrement la fonction Family office au sein du groupe Oberthur. Il chapeaute vraiment dans sa majorité cette partie Family office.
Moi qui suis Directeur adjoint de la trésorerie, je suis plus en charge de la partie industrielle de laquelle on va parler aujourd’hui.
Et j’ai une collaboratrice, une trésorière, qui est plus en charge du recouvrement, parce que notre service trésorerie reprend également le recouvrement du groupe Oberthur et de toutes ses entités, et elle assure également un suivi de la trésorerie. C’est mon backup au quotidien.
Qui dit relation bancaire dit service bancaire. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur le besoin et ce type de services bancaires que tu consommes ?
R: C’est vrai qu’on a une relation particulière et je dirais que la relation avec nos banques est primordiale parce qu’on a besoin d’eux. On a besoin d’eux pour plusieurs services : pour mettre en place des lignes de financement, financer le BFR, ou pour des financements ponctuels comme des lignes de production, des agrandissements, des constructions nouvelles… Tout un tas de choses qui font qu’on a besoin de financements pour évoluer, pour être de plus en plus compétitifs.
On a également besoin de nos banquiers pour mettre en place des lignes de garanties ; comme on en a parlé précédemment, on est exposés au risque de change donc on a besoin de lignes de garanties de change.
On a besoin de lignes de garanties bancaires parce que quand on travaille à l’international et avec un système d’appel d’offres, on a besoin de mettre en place des garanties bancaires, qui vont de la garantie de soumission à la garantie de bonne exécution du contrat, et, du fait de notre production un peu particulière, pour mettre en place des garanties qualités pour garantir la bonne qualité des marchandises fournies.
Peux-tu nous expliquer comment fonctionnent ces lignes de garanties, pourquoi elles sont mises en place et leur mécanisme ?
R: Au niveau des garanties bancaires, le fonctionnement est le suivant : on reçoit un appel d’offres d’une banque centrale ou d’un ministère qui nous informe que l’on est invités à répondre pour fabriquer, car ils besoin de billets de banque. A partir de là, ils nous demandent d’émettre une garantie de soumission dans environ 50% des cas. C’est une garantie d’un certain montant, c’est forfaitaire et ça représente un pourcentage du montant total de l’offre que l’on va soumettre. C’est une garantie qui va permettre de garantir notre offre pendant sa durée de validité. C’est à dire qu’aujourd’hui, si réponds à un appel d’offres qui sera valable 6 mois, je vais mettre en place par exemple une garantie de 100 000€. Si pendant cette période de 6 mois, j’enlève mon offre, je dis que je ne veux plus répondre à cette offre, le client pourra appeler ma caution et donc récupérer 100 000€. Ou, si à la fin de ces 6 mois je suis adjudiquée mais je dis que je ne veux ou peux finalement pas produire les billets, il peut appeler ma garantie. Donc c’est une garantie qui couvre la période de soumission. C’est pour ça qu’on l’appelle garantie de soumission.
A la suite de ça je signe un contrat et on va me demander d’émettre une garantie de bonne exécution du contrat, c’est -à -dire une garantie qui garantit nos obligations contractuelles. C’est pareil c’est un montant, en général c’est plus un pourcentage du montant du contrat, entre 5 et 10%. Si, à la fin du contrat, on n’a pas rempli nos obligations contractuelles, par exemple que l’on est en retard ou qu’on a fourni de mauvaises marchandises, le client peut appeler notre garantie.
Ce sont des garanties appelables à la première demande. Donc, à partir du moment où ils appellent cette garantie, la Banque a 5 jours ouvrés pour créditer leur compte.
On met également en place un autre type de garantie qui sont des garanties de restitution d’acompte, c’est-à-dire que dans le contrat il est mentionné que le client nous versera un acompte, par exemple 30% à la commande, contre caution du même montant. Cette garantie de restitution d’acompte sert à couvrir cet acompte pendant la durée du contrat.
Et comme je le disais tout à l’heure, on peut aussi émettre des garanties de qualité. C’est demandé dans certains pays, notamment en Amérique latine. A la fin du contrat, quand on a rempli toutes nos obligations contractuelles, il est dit que l’on doit mettre en place une garantie de qualité, en général c’est de 10 à 20% du montant total du contrat, pour garantir la bonne qualité de nos marchandises.
Si demain, on livre des billets et qu’à la fin du contrat, il se déchire ou autre, au moins on pourra garantir la qualité de celle-ci.
Q: Donc, un recours très régulier à ce type d’opérations ?
R: On a un recours très, très régulier et c’est pour ça qu’on a besoin d’avoir des lignes de garanties conséquentes pour faire face à la demande de nos clients. Si demain il y a une grosse demande, il nous faut des lignes de garanties conséquentes pour pouvoir mettre en place les garanties bancaires demandées.
Q: Parce que la majorité des cas où vous soumettez une offre, ou des contrats que vous avez avec vos clients, demandent l’utilisation d’une garantie bancaire, c’est ça ?
R: Oui c’est vraiment très courant. Parfois, il n’y a pas de garantie de soumission mais il y a souvent une garantie de bonne fin. C’est un sujet important et revu annuellement lors de commissions de garantie par nos banquiers, donc on se doit de fournir des comptes qui tiennent la route et d’avoir de longues discussions et de rassurer nos banquiers sur l’avenir et de leur donner des chiffres, des informations qui leur permettent de nous faire confiance et puis de continuer à nous octroyer les lignes demandées.
Au-delà des lignes de financements et de garanties, quels sont les autres services bancaires que vous utilisez ?
R: On utilise tout ce qui est service de paiement. On a une trésorerie centralisée donc on a un logiciel de trésorerie, et on doit faire appel à nos banquiers pour nous mettre à disposition nos relevés de compte et pour pouvoir émettre des virements européens, français, internationaux… Donc on doit faire appel aux services cash management des banques.
Quel logiciel utilisez-vous et par quel protocole passez-vous ?
R: On utilise Kyriba et on passe par SWIFTNET, on a trouvé que c’était le service le plus sécurisé. On est une entreprise sécurisée, de haute sécurité et on utilise SWIFTNET depuis le départ, depuis la mise en place du nouveau logiciel de trésorerie en 2012. On trouve que c’est une bonne idée, et au niveau sécurité je pense qu’il n’y a pas mieux que SWIFTNET.
Donc on utilise régulièrement les services cash management. Là on voit qu’il y a de plus en plus d’innovations en termes de paiements, donc ils nous appellent et nous conseillent, on fait appel à eux pour changer le format d’un fichier, parce que les normes changent, et cetera. On a besoin d’être à la page de tout ce qui se fait en termes de paiements.
Q: Vos banques sont-elles principalement localisées en France ?
R: En France, oui.
Q: Donc vous n’utilisez pas Swift pour accéder à ces banques, mais plus pour la sécurité d’émission des virements ?
R: Oui voilà, c’est pour la sécurité des virements et la réception des relevés de comptes.
– C’est vrai que la plupart des gens utilisent SWIFT pour accéder à des banques qui sont hors de France et auxquelles il ne serait pas possible d’accéder via EBICS. Mais vous, c’est pour d’autres raisons.
– Oui, 99,5% de nos banques sont en France.
Y a-t-il d'autres types de services que vous utilisez ?
R: Il y a toujours le “service courant” avec les banquiers : les conditions bancaires, la négociation. C’est toujours un petit peu complexe, un peu tendu, il faut toujours faire attention que les conditions bancaires soient dans un premier temps bien négociées, et ensuite qu’elles soient bien appliquées. Ce n’est pas souvent le cas !
Q: Utilises-tu des relevés de frais de type CAMT086 ou ce genre de chose ? Est-ce que les banques te font des reports détaillés où tu as la possibilité de vérifier ?
R: Tous les mois, on reçoit des relevés de commission. Ce sont des relevés de commission papier et ça nous permet tout de même de pointer, on voit tout de suite s’il y a une incohérence. Moi je fais très attention à la Commission de mouvement, calculée trimestriellement sur les échelles d’intérêts. C’est souvent la faute du système, une écriture qui saute ou autre, mais il y a des écritures qui ne devraient pas être soumises à la commission de mouvement et qui le sont, notamment un renouvellement de crédit.
Q: C’est parfois dans l’autre sens aussi ?
R: J’en vois vraiment très peu, mais ce sont souvent de gros montants, des opérations de change, tout fonctionne bien et puis un jour, on ne sait pas pourquoi, dans un système, l’opération a sauté. On voit apparaître une commission de mouvement qui n’a pas lieu d’être, parce que sur des montants de plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire quelques millions, ça peut tout de suite chiffrer. Le rôle d’un trésorier, c’est aussi de contrôler. Mais à partir du moment où on fait la requête à la banque en disant qu’il y a une petite erreur, la modification est tout de suite effectuée et régularisée.
Q: Ça te demande quand même de contrôler systématiquement, dès que tu as les relevés.
R: On contrôle tous les relevés. Je regarde quotidiennement les comptes. C’est aussi l’expérience qui parle, je connais les conditions à force de les voir. Dès que je vois quelque chose d’anormal ou un frais, ne serait-ce que 15€ par-ci, 15€ par-là, quand tu tires un trait à la fin d’une année, les montants peuvent être assez conséquent si tu ne demandes pas les régularisations.
Q: Ça te prend beaucoup de temps de faire ces contrôles ?
R: Oui assez. Je ne peux pas chiffrer le temps que ça me prend, parce que c’est fait quotidiennement. Mais on a fait des règles dans kyriba qui nous permettent de contrôler les commissions de mouvement. Par exemple, on a des codes flux pour chacune des opérations et on sait que toutes ces opérations ne sont normalement pas soumises à commission de mouvement alors que celles-ci sont soumises. Donc en sortant un état dans kyriba, on a un peu automatisé le contrôle, et avec le format papier on voit tout de suite ce qui ne va pas.
Après, on arrive à isoler les flux par différence rapidement parce qu’en général c’est sur des flux de gros montants.
Donc le premier rôle : négocier les conditions bancaires. Je pense qu’on ne le fait pas assez parce qu’après on s’installe dans une routine, et de temps en temps il est bon de lancer un petit appel d’offres conditions bancaires pour voir ce qui se fait ailleurs. On travaille par habitude donc on va souvent confier les virements internationaux à telle banque, et on ne pense pas forcément à regarder chez nos autres partenaires bancaires quel serait le coût juste parce qu’on a l’habitude de travailler avec un partenaire avec qui ça fonctionne bien.
Et tout ceci pose la question de : qu'est-ce que le trésorier attend de son banquier ? Il y a les frais, certes, mais il y a d'autres choses aussi, comme les services que l’on vient d'énumérer. On pourrait se demander ce que toi, par exemple, tu attends précisément de ton banquier sur chacun de ces services.
R: Pour les lignes de financement, j’attends que mon banquier soit réactif. En général quand j’ai besoin d’une ligne de financement, je n’interroge pas un banquier en particulier. Je ne vais pas tous les interroger mais j’en interroge en général 3.
Q: Tu ne négocies pas individuellement, mais tu essaies de les mettre en concurrence ?
R: Bien sûr, c’est la base de tout. Je ne vais pas aller demander à l’un sans savoir ce que l’autre pourrait me proposer.
Donc en fait, j’essaye de les mettre en concurrence. Ils ne sont pas forcément au courant, mais c’est la base de toute négociation ! Si je n’ai pas un comparatif à côté, je ne pourrais pas négocier au mieux avec l’un et l’autre.
Donc en général, si j’ai besoin d’un financement, je les interroge. Ce qui compte aussi pour moi c’est la réactivité, parce que si au bout d’une semaine je n’ai pas de retour, ils ne nous ont pas fait de proposition ni de retour sur des besoins d’informations supplémentaires ou simplement de confirmation de réception de notre demande, je me dis qu’ils ne veulent pas travailler avec nous. Je trouve que ça c’est important. Donc ça, c’est pour les emprunts.
As-tu déjà eu des refus de vente ? Au-delà du fait que l'on t'octroie ou pas un financement, qu'un banquier ne souhaite pas travailler avec toi ?
R: Bien sûr. J’ai des banquiers qui sont francs et qui me disent qu’ils sont désolés mais qu’ils ne peuvent pas faire ci ou ça, que ça va être beaucoup trop long. Par exemple, quand on renouvelle annuellement nos lignes, il y a toujours une enveloppe globale. Si on n’a pas pensé à mettre en place l’enveloppe et que 2-3 semaines après j’appelle mon banquier et je dis avoir besoin d’une ligne de financement, il va me dire que ça n’est pas prévu dans l’enveloppe, qu’il faut remonter un dossier et qu’on va perdre un ou deux mois, et qu’il ne peut pas le faire. Mais j’apprécie cette franchise. Moi, j’ai l’habitude de travailler en toute transparence avec mes banquiers, donc j’apprécie qu’ils le soient aussi.
Ça fait gagner du temps et c’est donnant donnant. En plus, ce n’est pas une obligation. J’en interroge plusieurs, donc heureusement que tous ne me donnent pas des conditions géniales en acceptant de le faire, parce que sinon je serais un peu coincée !
Les lignes de financement peuvent donc concerner des emprunts, des facilités de caisse et des lignes de crédit. Ça, c’est pour la gestion de trésorerie au quotidien parce qu’on peut être cash rich, mais on peut aussi être cash pauvre avec des besoins de financement de BFR, ça c’est plus pour la gestion de la trésorerie quotidienne. Là aussi on fait appel à nos banquiers, on leur demande ce qu’ils peuvent faire. Pour les facilités de caisse, c’est vraiment une relation de confiance parce que ce sont des contrats non confirmés, c’est oral, il n’y a pas de contrat signé entre eux et moi. C’est un accord moral entre le banquier et la société.
Structurellement, dans quel sens va votre BFR ?
R: De par notre activité, on a un BFR qui est assez élevé. Comme on ne fabrique pas n’importe quoi, on est obligés de stocker des matières. On a des stocks de papier, de matières premières pour fabriquer des billets. On a une activité qui fait que structurellement, on est obligé d’avoir un BFR élevé.
Parmi ce que tu viens d’énumérer, quel est le principal outil de financement que vous utilisez ?
R: Les lignes de crédit et les facilités de caisse. C’est cyclique, on peut avoir un BFR haut qui va s’améliorer mais qui va repartir. Tout dépend de l’activité, mais conjoncturellement on n’aura jamais un BFR très bas.
Sur les lignes de garanties que tu évoquais tout à l'heure, qu'est-ce que tu attends principalement de ta relation avec ton banquier ?
Les lignes de garantie, on les revoit en général à la hausse une fois par an au moment du renouvellement de notre dossier. Ce qu’on attend, c’est qu’elles soient assez souples, j’aime bien avoir une ligne globale pour l’ensemble des garanties, c’est à dire que je ne veux pas une ligne de tant pour la garantie de soumission, une ligne de tant pour les bonnes fins. Je veux une ligne globale pour l’ensemble des garanties bancaires. Certaines banques travaillent comme ça, octroient par exemple 10 millions avec 2 millions pour les soumissions, 5 millions pour les bonnes fins. On est alors obligés de jouer avec les enveloppes, avec les montants, c’est compliqué. Moi j’aime bien avoir une enveloppe globale, j’ai toujours été habituée à travailler comme ça et de cette manière, on répartit au mieux. En général, quand je demande à une banque l’émission d’une garantie de soumission, par logique – et c’est ma logique alors peut être qu’elle est bonne, peut-être qu’elle ne l’est pas – je mettrais en place la garantie de bonnes fins, la garantie de qualité s’il y a la restitution d’acompte, je leur donnerai les flux et je donnerai le change. À partir du moment où je choisis une banque, c’est pour la la totalité du contrat.
Q: Et pour évaluer le montant des lignes que tu demandes, sur quoi te bases-tu ? Le budget, des prévisions ? Par exemple, on a vu que c’était lié au contrat auquel vous estimiez répondre et éventuellement aussi par rapport à votre client.
R: On se base un peu sur le vécu, sur le budget, mais on s’aperçoit que depuis 2-3 ans, les garanties sont de plus en plus longues parce qu’on a des contrats de plus en plus longs. Avant, on avait un contrat où il fallait produire des marchandises sur une période de 9 mois et c’était tout. Maintenant, ce sont des contrats un peu plus longs, 2-3 ans, donc des garanties un peu plus longues. Si par exemple j’ai 10 millions de lignes chez un banquier, et qu’il me coupe mes lignes à 5 alors que j’ai 8 millions d’encours, je ne vais pas être bien. Parce qu’on peut avoir du mal à transférer les garanties. C’est pour ça que je préfère avoir trop de lignes que pas assez, surtout qu’on ne paye pas de commission de non-utilisation de lignes de garanties bancaires.
Donc je préfère avoir une enveloppe un peu plus large, quitte à prendre un peu de place sur une ligne de facilité de caisse ou une ligne de change, mais être sûre de pouvoir mettre en place mes garanties bancaires au moment demandé.
– Pour éviter de renégocier quelque chose en urgence.
– Oui, de négocier ou même de renégocier quelque chose de ponctuel. On l’a déjà fait par le passé, négocier une ligne ponctuelle ça prend du temps et nous, de par notre activité, on travaille souvent dans l’urgence. Par exemple, si on remet une offre, on connaît les prix un peu au dernier moment, donc on connaît le montant de l’offre un peu au dernier moment et le montant de la garantie de soumission est souvent à émettre rapidement. Si je n’ai plus de ligne, je ne peux pas travailler vite. Maintenant, les banquiers savent qui on est et ce qu’on fait. On a des banquiers historiques, on travaille avec eux depuis 30 ans, donc ils connaissent parfaitement la société. Lorsqu’ils voient arriver une demande classée urgente, ils savent que c’est vraiment urgent. On a de la chance parce qu’on a des interlocuteurs privilégiés et qu’ils arrivent à traiter nos demandes dans l’urgence et assez rapidement. Par exemple, si je reçois une demande de cautions à émettre pour aujourd’hui ou pour demain, je ferai appel à certains banquiers et pas d’autres parce que je connais ceux qui peuvent le faire et je connais ceux qui ne pourront pas ; pas parce que le banquier ne veut pas répondre à ma demande, mais parce qu’en face il y a des services qui bloquent, un niveau de compliance élevé, toute une strate à respecter et des signataires à respecter. On ne peut pas passer les étapes comme ça.
Et puis il y a des banques pour qui même une toute petite demande, avec un modèle de texte imposé ou pas, un texte standard, doit passer par le service compliance. On sait que dans certaines banques, il y a des services de compliance efficaces, rapides, qui savent travailler dans l’urgence. Mais on sait aussi par expérience que certains services compliance sont un peu plus longs que d’autres et donc pour ma part, ça pénalise les banquiers parce que si j’ai une demande urgente je ne vais pas la faire passer par leur service garantie.
Avec combien de banques travailles-tu aujourd'hui ?
R: Avec 6 banques sur la partie industrielle.
Q: Donc lorsque tu soumets à 3 d’entre eux, c’est à peu près la moitié de tes interlocuteurs habituels.
R: Oui, après on fait un roulement. On a des requêtes tout au long de l’année, donc je vais en choisir 3, et la prochaine fois je redemanderai à d’autres. Si j’ai besoin de faire une demande de financement pour l’une de nos entités, si j’ai déjà ouvert un compte dans cette banque admettons pour la filiale A. Si j’ai déjà un compte dans une banque ou dans 2 banques, je ne vais pas interroger les autres pour encore ouvrir un compte. La filiale n’est pas assez grosse pour avoir 3, 4, 5 ou 6 partenaires bancaires, donc je préfère me limiter à 2 et je n’interrogerai que les 2 concernés. C’est aussi une répartition au mieux selon les besoins, selon les comptes ouverts, etc.
Peux-tu nous parler de la partie paiement cash management ?
R: Alors ce qu’on attend sur le paiement cash management, c’est beaucoup. C’est surtout un rôle de conseil. Parce que tous les jours, les modes de paiement évoluent. Tous les jours, il y a de nouvelles fonctionnalités, de nouveaux services (avec Swift pour la traçabilité des paiements, pour les fraudes au paiement, etc.). Donc j’attends vraiment du service cash management et d’une banque, c’est surtout un rôle de conseil. Nous aviser, nous conseiller et nous mettre en alerte sur les nouveaux modes de paiement, ce qui se fait aujourd’hui, comment éviter les problèmes, comment sécuriser au mieux ses paiements, et cetera.
Q: Notes-tu des disparités au niveau du service dans ce domaine ?
R: On note des disparités parce qu’ils ne sont pas forcément au courant que l’on apprécie être conseillés. Avec certains banquiers, ça roule tellement bien qu’on ne fait jamais appel au cash management ou à leur service. Et il y a des banquiers qui ont cette petite lumière qui les pousse à appeler le client ou l’inviter à webinaire. Et avec cette période de confinement et de COVID on voit qu’il y a beaucoup d’invitations et que les banquiers, sans vouloir être péjorative, se réveillent en sur le conseil et l’information sur toutes ces innovations en termes de paiement, tout ce qui va se faire, tout ce qui se fait déjà, tout ce qui pourrait se faire et comment, dans quelle période, comment ils peuvent nous aider pour les mettre en pratique.
Selon toi, les banques sous-estiment-elles le besoin de conseil et d’information dont ont besoin les trésoriers ?
R: Oui, je pense. Personnellement, certains de mes banquiers ont notre chargé d’affaires, donc notre interlocuteur principal, en ligne assez régulièrement. Mais je n’ai personne d’autre. Alors que certains partenaires bancaires n’hésitent pas à nous appeler ou à envoyer un mail ou, lorsqu’on se rencontrait physiquement, amenaient le responsable du cash management, le responsable du commerce international, et ça permet d’échanger. Quand on a rencontré une personne et qu’on sait qui elle est, c’est toujours plus facile de passer un coup de fil par la suite, etc. Je trouve que ce rôle de conseil, il devrait être un peu plus mis en avant. Nous alerter sur ce qui se fait pour pour que l’on soit à la page nous aussi ; il y a tellement de documentation et tellement de choses qui circulent au jour le jour qu’on ne peut pas tout lire, on ne peut pas tout voir malheureusement.
Q: Ces derniers temps, on a vu l’explosion de webinaires dont certains organisés par les banques elles-mêmes. As-tu eu l’occasion participer à certains ?
R: Je participe vraiment aux sujets qui m’intéressent. J’ai participé à un webinaire sur la fraude, la cybercriminalité, sur les nouveaux outils de traçabilité des virements. Quelques-uns seulement, parce qu’on ne peut pas participer à tous puisqu’il y en a tous les jours. Il y en a de plus ou moins intéressants, certains me parviennent je ne sais pas trop pourquoi, parce que ce n’est pas trop mon domaine.
Mais je trouve que c’est intéressant de partager. En ce moment, il y en a beaucoup sur la conjoncture économique, la reprise économique après le confinement, ça peut être sympa. S’il y a 2 partenaires qui proposent, c’est intéressant de comparer leur analyse.
Pour revenir à tes attentes vis-à-vis de ce que proposent les banques, qu’en est-il du commerce international, que tu évoquais tout à l’heure ?
R: Le commerce international, on l’utilise pour les garanties bancaires, c’est dépendant, et on l’utilise aussi pour les lettres de crédit documentaire.
Peux-tu définir ce mécanisme de lettres de crédit documentaire ?
R: C’est un moyen de paiement très utilisé à l’international, un outil de sécurisation des moyens de paiement. J’aime bien avoir des relations avec le commerce international, avoir des notions de conseils parce qu’il existe régulièrement de nouveaux outils de sécurisation des moyens de paiement pour optimiser notre gestion à l’international. Surtout que pour nous, 98% du chiffre d’affaires d’Oberthur fiduciaire est à l’international. Donc on rencontre toutes ces problématiques, et on aime bien être à l’écoute de ce qui se fait et de ce qui va pouvoir se faire. On sait qu’il y a des pays où c’est bloqué et on ne peut rien faire. Mais on aime bien être à la page sur les nouvelles règles Incoterms, sur comment sécuriser un paiement dans tel pays, comment éviter des retards de paiement énormes, comment s’en sortir, et toutes ces problématiques liées à l’international. Donc du conseil et de l’appui. Parfois, pour certains pays, on aime bien avoir l’intervention et le soutien de notre banquier.
Le fait d'être sur des banques qui sont des banques internationales, qui ont des représentations locales, c'est un plus ? Ou vous passez aussi par des banques partenaires sur place ?
R: Rarement, parce qu’on travaille au travail avec les plus grandes banques de la place et les principaux banquiers. Donc on en trouve toujours un qui a une interaction dans tel ou tel pays, une filiale, une relation, il y a toujours quelque chose qui se passe. Si on prend par exemple la Société Générale, il y a des agences de SG un peu partout dans le monde, comme BNP ou Crédit Agricole, donc on a toujours cette aide et on n’a pas besoin d’ouvrir des comptes bancaires dans tous les pays. Heureusement, parce que sinon j’aurais peut-être 50 banques.
On arrive toujours à avoir des appuis, et même pour l’émission des garanties, lorsqu’on doit émettre par une garantie via une banque locale, il y a toujours un terrain. Ils sont toujours en clé Swift, en relation avec une banque sur place et il faut savoir que la plupart des banques, même franco françaises, ont toujours un interlocuteur dans les zones géographiques : en Amérique latine, en Asie, etc. Ce qui permet de faire le lien entre les banques françaises et les banques locales.
Q: C’est vrai que dans certains pays, pour faire du business, on doit passer par des banques locales selon les activités. J’ai vu un certain nombre d’acteurs qui étaient obligés de passer par des acteurs locaux.
R: Pour certains pays on est obligés. Je trouve que c’est compliqué d’ouvrir des comptes non-résidents dans les pays, parce qu’on se soumet à la loi en vigueur dans le pays. Pour récupérer les fonds à la fin du contrat, c’est compliqué.
Q: C’est une vraie problématique qui mène à la problématique des cash trap, mais vous ne devez pas avoir ce problème en travaillant avec des grandes banques internationales ?
R :Non, on utilise nos comptes qui sont en France.
Q :Donc il n’y a pas de problème de cash trap même si vous travaillez avec des pays exotiques.
R :Non, tout passe par SWIFT, donc à partir du moment où eux émettent un virement en notre faveur, il n’y a pas de souci. Il y a toujours des pays ou le banquier nous appelle en alerte, nous demandent ce qui se passe et réclament la copie du contrat, on fournit toute la documentation et en 48h maximum c’est réglé.
Qui sont vos clients en général ? De grandes institutions ?
R: Nos clients sont principalement des banques centrales des ministères. On n’est pas sur des profils très risqués mais il y a le risque pays qui peut faire que ça peut dégrader. Mais en général, nos clients sont principalement de grosses entités. On a très peu de petits clients lambda.
Tu parlais tout à l'heure de la négociation avec les banques en évoquant certaines de tes pratiques. Il y a une notion qui revient assez souvent quand on parle d'échange avec les banques qui est la notion de flux. Peux-tu nous parler un peu de ces flux ?
R : Le flux, c’est le dada des banquiers. Lorsqu’il y a des lignes qui sont mises en place en faveur de telle ou telle société, donc on peut remercier les banquiers d’avoir réalisé ça, mais il faut leur donner en échange ! Donc : des flux bancaires à commission de mouvement. Un flux bancaire haut débit soumis à la commission de mouvement, c’est tous les flux émis hors opérations de change, hors flux de financement parce qu’on estime que ce sont des flux internes, et hors flux, frais bancaires, agios etc.
On essaie de répartir au mieux parce que quand on a 6 banques et qu’on fait voilà 220 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’est difficile de “donner à manger” à tous nos banquiers dans la même proportion.
– Ils vont toucher une commission dessus et c’est pour ça que ça les intéresse.
– Surtout les flux émis, les virements de salaire, les virements en Europe, les virements internationaux, sur les chèques émis, sur les prélèvements. Donc il y a une commission de mouvement qui est à négocier avec le banquier. Elle peut osciller entre 0,025‰ et des montants un peu plus élevés. Trimestriellement ou mensuellement, selon les échelles d’intérêts bancaires, on doit payer une commission de mouvement. Les banquiers regardent aussi tous les flux qui leur sont donnés, également les flux au crédit.
Trimestriellement je regarde combien j’ai donné de flux à telle banque, comment je répartis mes flux, je fais un tableau en disant qu’il faut que telle banque ait 10% de flux, celle-ci 20%, celle-ci 5% annuellement. Je fais ça en fonction de ce qu’elles nous offrent. Si j’ai une belle ligne de caution, une belle facilité de caisse, des emprunts, cette banque sera plus rémunérée en termes de flux qu’une banque avec laquelle j’ai juste une petite facilité de caisse et pas de ligne de caution ni de change.
Q: Cette économie est-elle off ? Ou contractuelle ? Décides-tu par toi-même de la volumétrie que tu vas affecter à tes banquiers ?
R : On le décide au service trésorerie, mais les banquiers souvent demandent d’avoir 10 à 15% de nos flux. Et en fait il y a des statistiques qui sont faits au niveau de la Banque de France annuellement, et ils savent combien de flux haut débit on a eus. Donc ils peuvent le recalculer et nous questionner sur pourquoi ils n’ont eu que 5% alors qu’on avait promis 10 à 12%.
Donc ces flux, c’est vraiment une grosse partie de la négociation, c’est toujours soumis à négociation. Moi je leur dis que même s’ils m’octroient une nouvelle ligne de crédit, je ne peux pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, il faut quand même garder une certaine logique, je ne peux pas tout donner et ne rien laisser aux autres. Ils sont 6 banquiers opérationnels à ce jour, je ne peux pas faire autrement que de distribuer.
Q : Peut-être qu’il y a d’autres manières de faire ?
R : On voit apparaître de plus en plus sur la place de nouvelles monnaies d’échange, ce sont les activités connexes, annexes, je ne sais pas trop comment les appeler. On parle par exemple des différentes assurances proposées par les banquiers, ils peuvent assurer votre flotte automobile, votre immeuble, vos salariés. On parle également de l’épargne salariale et tout ce qui est ingénierie sociale avec les complémentaires santé, les indemnités de fin de carrière, les plans santé entreprises, les plans épargne retraite entreprise. Il y a beaucoup de banques qui nous proposent aussi des services d’affacturage, ou encore les réflexes cybersécurité où ils s’associent beaucoup avec des fintechs et autres pour mettre en place de la sécurité, éviter la fraude, pour sécuriser les données sécurisées, les RIB, sécuriser les flux, … C’est tout un tas d’activités nouvelles et c’est une nouvelle monnaie d’échange. Quand le banquier demande à rencontrer votre RH, à voir au niveau des assurances, pour assurer notre votre flotte automobile ou mettre en place un crédit-bail pour notre parc automobile, … Autre chose qui arrive depuis début 2021, c’est tout ce qui est enjeu de transition énergétique pour une démarche durable pour l’écologie. Il y a beaucoup de banquiers qui s’associent avec des fintechs ou avec des start-up, etc. Je trouve que c’est une nouvelle ère, c’est une nouvelle activité qui n’existait pas il y a 5 ou 10 ans.
Q :Et tout ça, aujourd’hui, ça peut se négocier contre des conditions de financement ?
On voit que quand on demande une nouvelle ligne, le banquier peut nous parler de quelques nouveaux services à proposer. C’est en off, mais on le ressent comme ça. En nous disant “ça nous ferait vraiment plaisir que vous jetiez un œil à cette nouvelle assurance”, on comprend “si vous pouviez souscrire quelque chose”. Ce n’est pas facile parce que l’assurance, la transition énergétique, ce n’est pas dans mes capacités, ça ne rentre pas dans mon domaine de prédilection. Quand je peux, quand j’ai un peu de temps, j’appelle les personnes en charge en disant que ça serait bien de rencontrer telle ou telle personne, si on peut faire quelque chose. Donc c’est une nouvelle monnaie d’échange.
Je ne sais pas si dans ton entourage tu vois apparaître ce genre de chose, mais moi je trouve qu’il y a de plus en plus de services annexes qui sont proposés par nos banquiers.
– Ça va, je pense, avec la diversification de l’activité des banques. En effet, banques et assurances sont des secteurs intimement liés depuis quelques temps déjà. En parallèle, surtout sur les services dont tu parlais qui sont proposés par des Fintech, beaucoup de banques qui rachètent des fintechs sûrement pour des raisons de synergie et profitent de leur accès à leurs clients traditionnels pour les pousser vers des nouveaux services. Ca me paraît tout à fait cohérent comme stratégie de leur côté. Ce qui est intéressant, c’est de voir que là où le trésorier est consommateur de services financiers traditionnels, qu’il puisse éventuellement avoir comme levier le fait de donner non plus que des flux, mais tous ces services connexes comme tu l’évoquais.
– C’est bien parce que au moins on peut jouer sur les 2. Ce qui est différent, c’est qu’avant, le banquier avait un interlocuteur dans la banque à savoir le trésorier. Le directeur financier, le directeur de la tréso, le service trésorerie. Et de par ses nouvelles activités, il peut rentrer en relation avec le DRH, ou les services généraux en charge de la flotte automobile, ou la personne en charge des assurances. Et ça lui fait quand même un peu plus d’entrées dans l’entreprise.
Donc globalement en fait, il faut quand même bien connaître sa banque mais aussi son banquier.
R: Oui, je pense. Moi par exemple, si demain il y a un nouveau banquier qui nous propose quelque chose, je ne suis pas sûre de le mettre en relation avec les personnes concernées si je ne le connais pas un minimum, s’il n’a pas fait, si je peux m’exprimer ainsi, un minimum de preuves avec nous. En somme, il faut qu’une relation de confiance soit établie un minimum.
– Parce qu’une partie de ces échanges sont complètement non contractuelles.
– Oui, il y a toute cette relation non contractuelle, c’est très important. Aujourd’hui il y a quand même une relation contractuelle par rapport à toute cette compliance qui est faite. Avec le KYC, mon banquier me connaît parfaitement. Il connaît Céline en tant que trésorière et interlocutrice principale, et il connaît également l’entreprise. Mais moi je trouve qu’il est important également pour un trésorier et pour une entreprise de connaître sa banque, la banque en général, mais de connaître également son banquier et ses attentes. Donc on parle de KYC, mais pourquoi pas mettre KYB (Know Your Bank), je pense que ça serait bien parce que je trouve que c’est bien de connaître son banquier comme le banquier nous connaît. Ça sera mon mot de la fin !
– C’était très clair, merci beaucoup Céline pour toutes ces informations.
– Je te remercie Jean-François de m’avoir accordé cette interview. J’espère qu’elle pourra un peu guider un petit peu les personnes qui vont écouter et puis donner des idées de nouvelles approches.
– J’en suis certain. Merci beaucoup, à bientôt.