ForeCast #20 - L'IA peut-elle prédire l'avenir en trésorerie ?

Cédric Guarnotta - Datalog Finance

L’intelligence artificielle est-elle vraiment indispensable pour la gestion de la trésorerie ou simplement le fruit d’un engouement médiatique ? Dans cet épisode, nous recevons Cédric Guarnotta, directeur général de Datalog Finance au Canada, qui partage son expertise sur les applications concrètes de l’IA en trésorerie. Il détaillera notamment comment l’IA peut générer et améliorer les processus de prévisions de trésorerie !

Au programme de cet épisode :

  • Qu’est ce que l’IA ?
  • Comment l’IA peut-elle aider les trésoriers ?
  • Les limites de l’IA
  • Quelle implication du trésorier auprès de l’IA ?
  • Une IA généraliste pour la finance ?
  • L’IA pour le cash forecasting : fonctionnement
  • Résultats
  • Les étapes pour amorcer un projet IA en trésorerie

Transcription de l'épisode

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Guillaume Lorentz. J’ai travaillé longtemps dans des banques d’investissement internationales et maintenant pour un courtier qui s’appelle HPC, donc essentiellement avec des trésoreries d’entreprise et avec des banques pour la construction des produits.  

Je me suis spécialisé sur les placements en 2015, et quand j’ai commencé, les taux étaient déjà à 0. J’ai donc connu 6 ans de taux 0 et tout juste maintenant des taux positifs. 

Quelle était la situation en 2022 et quelles ont été les grandes tendances en matière de placements ?

La problématique de trouver un placement à court terme, rémunérateur et sans risque a beaucoup évolué en 2022. Le paradigme des taux a complètement changé et maintenant, on arrive à trouver des solutions intéressantes. 2022 a une été une année de transition et tellement intense que en regardant 2022, on peut comprendre les enjeux pour 2023.

Si on fait le point sur ceux qui sont dans la situation la plus confortable aujourd’hui, ce sont plutôt ceux qui sont restés court terme et liquide. Il y a parfois des arbitrages qui ont fonctionné, mais ceux qui ont respecté ces principes fondamentaux de la gestion de trésorerie ont aujourd’hui les mains libres pour être plus disponibles. 

A l’inverse, on garde contact avec des entrepreneurs qui peuvent être beaucoup plus ambitieux en termes de placement. Ils investissent sur des actifs avec des rentabilités beaucoup plus élevées, aux alentours de 10 à 20%. On appelle ici plutôt à l’aspect entrepreneur des interlocuteurs et une approche spécifique pour certaines positions de trésorerie ou à des niveaux différents.  

2022 a été une révolution : jamais les taux ne sont montés aussi vite. On a tendance à dire que la Banque Centrale Européenne (BCE) a eu du retard toute l’année sur ses hausses de placement et que 75 bps pouvaient paraître lents. Mais c’est en réalité extrêmement rapide : 2 hausses de 75 bps et une hausse de 50 points de base, qu’on a vue à partir de l’été, c’est du jamais vu historiquement. 

Début 2022, le marché était inondé de liquidités et les directions financières avaient renforcé leur trésorerie, notamment suite à l’expérience de 2020 et 2021. Les entreprises ont une trésorerie liquide qui représente à peu près 50% de leurs dettes. Ce sont les chiffres pour le SBF 250. Ça veut donc dire des réserves de trésorerie liquide extrêmement importantes. En théorie, lorsqu’on a tellement de trésorerie à gérer, c’est un sujet important. Mais dans les faits, vu le niveau de taux, les placements de trésorerie ne représentaient que 5% de mon activité. 

Pour revenir un peu en arrière, l’EURIBOR est resté négatif jusqu’à fin avril à -0,40. Il a commencé à passer positif en juillet 2022, puis a augmenté vers la fin de l’année. Le taux de 3 ans a connu un premier pic à partir de juin, au niveau de 1,50, suivi d’un creux à l’été. Il s’est relancé à l’automne avant la réunion de la BCE de fin de l’année et on a revu un pic en fin d’année.  

Généralement, les décisions des trésoreries en termes de placements ont été retardés par une certaine incertitude sur l’action de la BCE. C’est en juin que tout commence vraiment, les banques sont encouragées à rembourser le TLTRO de la BCE et vont commencer à appeler leurs clients pour leur proposer des placements.  

A cet instant, la plupart des trésoriers restent sur du court terme. Ils se positionnent à 1 mois et 3 mois. On suit l’évolution de l’EURIBOR, les clients sont plutôt friands d’update et on arrive à des produits qui rentrent dans la politique de placement des groupes. 

Les taux montaient à chaque nouvelle update mais la plupart ont attendu jusqu’à octobre-novembre avant d’investir. Néanmoins, les entreprises commençaient à faire le point sur leurs DAT/CAT et calculer les bénéfices de revoir ces positions. 

Au dernier trimestre, on a été plus confortables sur le rythme de hausse de la BCE. C’est là où les entreprises ont pu prendre des décisions et commencer ce processus-là.  

Est-ce une question de niveau des taux ou de confiance dans l’évolution des taux de la BCE ?

Les 2 réponses sont justes. D’un point de vue de trésorier, je pense que c’est aussi une confiance vis-à-vis des projections qui pouvaient être faites sur 2023. A partir du moment où ils ont un certain confort sur la réactivité opérationnelle, c’est là aussi qu’ils ont pu se repositionner.  

On commence 2023 avec des DAT/CAT qui dépassent les 3%. Ce sont des niveaux qui sont au-dessus du taux pivot. On a aussi des billets de trésorerie qui, à 3 mois, sont aux alentours de 2,50%, à 6 mois à 3%. Dans un an, on pourra déjà les chercher du 3,50%. 

Que peut-on raisonnablement attendre en 2023 en matière de placements ?

Voyons les questions à se poser pour déterminer sa stratégie. La priorité reste toujours les exigences opérationnelles. En langage de trésorier, on va se demander quel sera mon BFR sur l’année, quelle est ma visibilité sur mes cash-flows, devrais-je reprendre des investissements opérationnels un peu plus lourds et ce que les niveaux de valorisation actuels des entreprises justifient d’avoir une approche un peu opportuniste et de considérer une acquisition transformante aussi. On peut aussi se demander le niveau de financement auquel on va avoir accès – les niveaux de taux augmentent donc le coût de la dette augmente aussi de l’autre côté -. On va essayer d’obtenir une réponse avant de choisir des placements de trésorerie. 

L‘avantage c’est que, d’un point de vue produit, le nouveau paradigme de taux fait que vous serez dans les règles. Là, ne on cherche plus le mouton à 5 pattes pour trouver un placement qui va être rémunérateur. Les stratégies seront plus simples et l’idée est de définir comment en profiter.  

Sur les projections, au-delà de la question de récession, le risque d’un événement avec un impact économique brutal est beaucoup plus modéré actuellement et on est plutôt confortables là-dessus. Si le restock fait plus 8% depuis le début de l’année, je pense que c’est le reflet de cette position. 

Les investisseurs font le pari d’une année 2023 plus clémente et c’est aussi ce que je ressens de mes échanges avec les directions financières. 

Les hausses de taux de la Banque centrale vont continuer, mais on est beaucoup plus confiants sur le rythme. Le second pari concerne le risque de récession : les analystes étaient plutôt à 50-50, mais ça va être un un atterrissage en douceur et pas une récession assez violente. Le 3e pari est un peu porteur d’espoir et est relatif à la réouverture de la Chine qui pourrait, de manière indirecte ou plus directe, avoir des bénéfices pour les trésoriers en France et pour l’économie globale de manière générale.

Les trésoriers sont plutôt confiants sur leurs projections. Au niveau des investissements, la tendance est d’essayer de saisir l’occasion d’investir dans une transformation. Certains grands groupes ayant de la trésorerie liquide se tiennent prêt pour une acquisition. C’est au niveau des financements que la question peut être un peu plus difficile : les négociations peuvent être plus longues avec les banques et on gère aussi le timing sur les taux. Pour les levées de fonds, 2021 avait été extraordinaire et 2022 bien plus difficile. Ce que je ressens en début d’année 2023 c’est que les acteurs comme les startups sont plutôt rassurés sur la possibilité d’avoir accès à de nouveaux fonds.

Evidemment, il faut être toujours précautionneux en termes de trésorerie, mais on peut être un peu plus confiants sur les projections et donc avoir une stratégie qui repose sur des piliers plus solides.

Y’a-t-il des tendances spécifiques à certaines activités ?

Les groupes qui avaient des marges plus importantes ont pu s’adapter plus rapidement, étaient plus sereins sur le cash flow et ont réagi plus rapidement en termes de placements. 

J’ai en tête l’exemple d’un groupe spécialisé dans des logiciels, avec une activité assez concentrée et spécialisée donc peu de possibilités d’investir dans l’opérationnel. Ils ont commencé à réinvestir leur réserve structurelle en juin dans un premier temps et à la fin de l’année. Ils le font maintenant de manière active pour se reconstruire un portefeuille sur les années à venir. Les intérêts financiers qu’ils perçoivent dépassent le coût de leur dette à long terme. Donc le charisme c’est inversé et c’est très positif pour eux. 

À l’inverse, on a des groupes de coopératives agricoles ou des groupes industriels qui ont dû soutenir l’activité ou du moins certaines filiales. Ils n’avaient pas forcément ce pouvoir de négociation ou ils ont subi les hausses de manière assez fulgurante et ont perdu quelques mois avant de pouvoir les impacter sur les clients ou les distributeurs. Là, ils pensent que les hausses vont pouvoir passer, ils vont retrouver un certain volant de trésorerie qui vont leur permettre de faire quelque chose. 

Il y a un aspect sectoriel en fonction de ce rythme d’adaptation à l’inflation et aussi un aspect bilanciel. 

Quelles sont les projections de la BCE pour 2023 ?

Selon les économistes qui sont interrogés régulièrement par Bloomberg, le niveau de taux de dépôt qu’on attend d’ici le mois de juin est 3,25%. Ceci par le biais de 2 hausses d’un demi point lors des réunions de février et mars, suivie de 25 points de base en mai et juin. Les hausses continuent, mais le rythme se ralentit.

A partir de T3, la banque pourrait commencer un premier mouvement de baisse. Les marchés sont confiants dans cette approche et dans la possibilité qu’en suivant le rythme de la Fed, les taux pourraient même baisser à partir de la fin de l’année.

On peut se demander si on va trop vite. La réalité, c’est qu’il y a une telle angoisse de l’inflation – rationnelle ou irrationnelle -, que certains ont pu avoir l’impression que les prix n’allaient jamais s’arrêter de monter, alors que là on est quasiment certains que ça va refluer. 

Le vrai débat, ce n’est pas seulement de savoir si la hausse va disparaître, mais à combien on va rester et quel va être l’accord inflation. Si on se positionne sur des taux supérieurs à 3%, on pourrait être assez confortables vis-à-vis de ce niveau-là. D’un point de vue marché, ça peut être le moment de s’engager. 

Où en sont les investissements ESG en 2023 ?

Lorsque les taux étaient négatifs, le choix d’un investissement ESG a souvent été une motivation supplémentaire pour essayer de regarder différents types d’investissements et considérer des investissements plutôt moyen terme.  

Les stratégies ESG ont beaucoup été critiquées par rapport à la réalité de leur investissement et en rapport avec l’aspect greenwashing. Ce qui est établi et accepté par le marché, c’est que si l’on prend en compte les critères de sustainability, la plus-value créée à moyen terme va exister. Les gouvernements européens ont dû faire face à l’urgence d’un point de vue approvisionnement énergétique, donc c’est aussi ce qui a motivé les performances extraordinaires des groupes énergétiques sur les énergies fossiles. Maintenant, je pense que la tendance de fond de réinvestissement dans la transition est toujours là. 

Il était compliqué pour les valeurs de croissance de type ESG de faire face à l’évolution difficile des marchés financiers avec moins d’accès au financement et des taux obligataires plus élevés. Mais certains analystes de grandes banques pensent que le timing pourrait être de leur côté.  

Donc pourquoi pas re-profiter de cette situation pour réinvestir sur ce type de titre, et peut-être une visibilité, une transparence mieux établie et des actifs qui vont profiter des projections actuelles.

Au-delà des taux, y’a-t-il d’autres critères à prendre en compte aujourd’hui ?

Maintenant que les critères essentiels pour la gestion d’un placement de trésorerie vont pouvoir être respectés, à savoir la connaissance des risques, la liquidité, la protection du capital et un horizon qui reste quand même court terme puisqu’on veut qu’elle soit disponible à terme pour l’investissement opérationnel, on va pouvoir utiliser le placement comme un nouvel outil.

On va évidemment chercher le taux qui est le plus intéressant mais on va aussi essayer d’ajouter de la plus-value à nos placements et d’en faire un véritable outil stratégique d’un point de vue de la direction financière.

Certains décident par exemple d’utiliser les placements pour couvrir leur passif, donc se positionnent plutôt à taux variable pour faire face à une échéance de dettes futures. 

D’autres, qui étaient vraiment soucieux de l’inflation, vont avoir un placement qui peut aussi bénéficier d’une hausse de l’inflation et l’utiliser comme une sorte de hedge naturel. 

Ça peut aussi donner un accès direct au dynamisme des marchés ou dans la préparation d’une acquisition.  

Récemment, j’ai eu la demande d’un groupe industriel dans l’agroalimentaire qui voyait que les prix des énergies restaient élevés, donc il a choisi un placement qui en tirait profit. 

Tout ça est permis simplement par le fait que les niveaux de taux nous permettent aujourd’hui de construire des choses où vous aurez le capital garanti et la possibilité d’avoir une approche un peu plus stratégique. 

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