Bonjour Christophe, merci d’avoir accepté notre invitation. Je suis très content de pouvoir aborder avec toi un sujet qui interroge les trésoriers et tous les aficionados de la technologie appliquée à la finance : c’est le sujet de la blockchain et d’un de ses usages concrets pour les trésoriers d’entreprises.
Dans un premier temps, pourrais-tu te présenter ?
Je m’appelle Christophe Lepitre, je suis Président d’IZNES depuis 2 ans et j’ai participé à la création de cette belle start-up. IZNES, c’est la première plateforme régulée européenne dédiée aux souscriptions et aux rachats de parts de fonds.
Q : Qu’est-ce que la blockchain ? (00:01:59)
R : La blockchain doit d’abord être distinguée des crypto currency. C’est la technologie sous-jacente, et elle a plusieurs facettes. Nous, on s’est emparés d’une blockchain dite privée qui a des qualités particulières que n’ont pas les blockchains publiques.
D’abord, sans rentrer dans les explications trop techniques, les blockchain privées ont une gouvernance très particulière qui en assure la sécurité. Peut-être aussi faut-il mentionner que les blockchain privées sont peu consommatrices en énergie. Non seulement les blockchains privées consomment beaucoup moins d’énergie que les blockchains publiques, comme le bitcoin, pour ne pas le citer, qui est vraiment un gouffre énergivore très déraisonnable.
Les blockchains sont répliquées sur une multitude de registres distribués et surtout, ce type de blockchain utilise pour la validation des transactions des protocoles qui organisent une compétition entre ordinateurs. Cette compétition est très consommatrice d’énergie très dissipative.
Nous, on organise la validation des transactions avec plusieurs nœuds, mais pas dans un mode compétitif. On a même été jusqu’à essayer d’estimer ce que pouvait consommer la chaîne actuelle (traditionnelle, non blockchain). On est arrivés à la conclusion que l’on consommait probablement 2 à 3 fois moins d’énergie que le dispositif traditionnel.
Q : La consommation de la chaîne est égale à celle que l’on pourrait retrouver dans une banque ? (00:03:41)
R : Plutôt ce que l’on pourrait trouver dans la chaîne actuelle de transaction, qui implique un certain nombre d’acteurs dont Euroclear, dont les banques, etc. C’est une chaîne assez longue, plutôt intermédiée où, par nature, l’information est répliquée à plusieurs endroits.
Les qualités de la blockchain commencent à être identifiées : beaucoup d’acteurs industriels utilisent cette nouvelle technologie pour leurs propres opérations, mais avec des qualités qui pourraient être qualifiées de notaire électronique, c’est à dire enregistrement des transactions, immuabilité des transactions enregistrées, auditabilité, sécurité.
La blockchain est donc un notaire électronique qui permet d’enregistrer les transactions ainsi que les documents de manière sûre et immuable.
Q : A quoi peut servir la blockchain pour un trésorier ? (00:04:37)
R : Le trésorier ne va pas bénéficier directement de la blockchain. Il va en bénéficier à travers l’utilisation d’une plateforme (comme IZNES ou autres) qui intégrera cette technologie blockchain dans des solutions plus larges qui viennent répondre à des besoins côté investisseur et côté société de gestion.
Chez IZNES, on s’est emparés de ça il y a maintenant 4 ans et on a fait nos premières transactions 2019. Si on essaie de résumer notre action, on peut dire qu’on s’est appliqués à ouvrir un canal de communication direct entre les investisseurs de tous types, y compris les trésoriers, et les sociétés de gestion.
Lorsqu’on dit “communication directe”, cela veut dire techniquement directe, réglementairement directe et complètement désintermédiée, autant que faire se peut, par rapport à la chaîne actuelle qui, elle, passe par plusieurs intermédiaires et qui totalise mal d’acteurs (par exemple, le teneur de compte-titres du trésorier, Euroclear pour les fonds de droit français, le centralisateur et teneur de registre de la société de gestion).
Ces acteurs sont remplacés par IZNES grâce à la blockchain et grâce au fait que la réglementation française a très tôt considéré que cette nouvelle technologie apportait suffisamment de garanties en termes d’enregistrement des transactions et de tenue de registres. Ils ont ouvert cette porte très tôt, fin 2018 début 2019, ce qui nous permet d’opérer aujourd’hui.
Q : Comment les transactions sont-elles réalisées ? (00:06:38)
R : Les transactions sont réalisées électroniquement avec une solution que l’on propose, nous, en SaaS via un portail internet.
Chez nos clients trésoriers, on trouve aussi des personnes qui souhaitent automatiser encore plus cette chaîne de transmission des ordres en connectant leur propre système de gestion de trésorerie avec la plateforme. A ce moment-là, on peut très bien envoyer des ordres vers la plateforme et recevoir des informations de la plateforme IZNES en utilisant une couche API. Il est aussi possible d’envoyer des messages Swift ou des fichiers plats.
Nous sommes très flexibles quant à l’échange d’information entre les participants et la plateforme. In fine, l’objectif est d’obtenir un process le plus automatisé possible sans couture pour essayer d’apporter les bénéfices d’un parcours complètement digital à l’ensemble de nos clients, trésoriers compris.
Aujourd’hui, on voit qu’il y a encore des gens qui, par nécessité, opèrent soit par mail, soit par fax, soit même à la voix, pour passer leurs transactions. Si on se place du point de vue de l’investisseur, du trésorier d’entreprise, on s’est attachés à dessiner un parcours totalement digital.
Q : La technologie blockchain étant transparente, le trésorier va utiliser soit la plateforme qu'il utilise actuellement parce qu'elle sera connectée via l'API, soit une plateforme dédiée et qui ressemblera à une plateforme d'ordre ? (00:08:04)
R : C’est totalement transparent pour les utilisateurs. L’utilisateur ne voit pas la blockchain, il n’a pas un besoin de connaissances particulier, contrairement à la gestion de crypto monnaies par exemple. La technologie blockchain est l’un des composants de la solution mais n’est pas apparente.
Donc, soit le trésorier décide de tenir son carnet d’ordres directement sur la plateforme, soit il le dans ses outils habituels, à savoir les outils de treasury management.
Nous, on parle évidemment avec les éditeurs de ces solutions à la demande de nos clients pour offrir des solutions natives entre l’outil de gestion de trésorerie et la plateforme.
Q : Une fois que le trésorier a passé l’ordre, comment le paiement est-il géré ? (00:09:11)
R : La loi française stipule que dès lors qu’une transaction est enregistrée dans une blockchain (dans la loi française, cela s’appelle un dispositif d’enregistrement électronique partagé : un DEEP), ça vaut preuve de propriété. C’est fortement disruptif du point de vue règlementaire et ça a permis à IZNES de construire cette solution.
Concernant les paiements : ils suivent le circuit traditionnel bancaire. Ils ne sont pas sur la chaîne et ne se font pas à l’aide de jetons.
Admettons que je suis un trésorier d’entreprise ; je veux acheter une part de fonds auprès de mon ou mes fournisseurs habituels, je passe par IZNES pour instruire l’ordre et là, j’ai 2 solutions : soit je garde la maîtrise de mes flux et j’exécute les paiements. A ce moment-là, je débite mon compte cash et je crédite directement le compte cash du fonds parce que c’est une relation qui est déjà établie et je fais ça dans mon outil. Soit je délègue cela à IZNES, entreprise d’investissement régulée, et c’est alors IZNES qui va débiter mon compte cash et créditer directement le compte cash du fonds.
J’insiste sur le fait que cet argent ne passe pas par IZNES et il suit un circuit bancaire.
Q : Est-ce un avantage de ne plus passer par sa banque pour ce type d’échange ? (00:11:05)
R : Si elle regarde les mouvements sur le compte, la banque constate des entrées et des sorties. Mais il est clair que le banquier habituel n’a plus de visibilité sur les investissements réalisés par le trésorier d’entreprise.
Certains de nos clients considèrent qu’ils retrouvent une certaine forme de tranquillité et de confidentialité dans le choix de leur véhicule d’investissement. Autrement dit, s’ils choisissent d’investir dans un véhicule externe au groupe de leur banquier habituel, ils ne s’exposent pas à un coup de fil de la banque le lendemain pour proposer des produits internes.
Honnêtement, nous n’avions pas anticipé ce bénéfice, mais certains de nos clients nous ont confié que l’idée leur plaisait.
Q : Y'a-t-il d’autres avantages pour les trésoriers par rapport au circuit traditionnel ? (00:12:11)
R : Il y en a plein, et ils dérivent tous du fait que l’on établit un circuit le plus court possible entre le producteur de fonds et le consommateur de fonds.
Le premier avantage, c’est tout ce qui tient au passage d’ordre. Lorsqu’on passe un ordre sur IZNES, quelle que soit la nature de l’investisseur, y compris les trésoriers, on a une représentation du statut de l’ordre en temps réel. On sait où il en est dans son cheminement jusqu’à la société de gestion.
Ensuite, puisqu’on est sur un circuit court, on bénéficie sur la plateforme d’un avantage qui est reconnu comme un bénéfice réel chez les trésoriers : il n’y a pas de cut off technique. Autrement dit, le trésorier retrouve un peu plus de flexibilité dans la gestion de sa trésorerie puisqu’il peut souscrire jusqu’au dernier moment par rapport au cut off du fonds. Il trouve donc jusqu’à une heure et demie de plus, en fonction des situations, pour faire sa trésorerie.
Autre bénéfice qui a été identifié et apprécié, c’est le fait qu’on puisse passer des ordres à l’avance. Des ordres futurs sur des réels futurs. Dans le dispositif d’aujourd’hui, ce n’est pas possible. C’est à ranger dans les bénéfices de flexibilité.
Un autre point à aborder, qui tient cette fois à l’entrée en relation entre un trésorier et ses sociétés de gestion partenaires : la gestion du KYC. La solution embarque un module d’entrée en relation et dans cette partie de l’application est géré, entre autres, le KYC.
Le KYC est une nécessité réglementaire mais c’est assez pénible. Le faire une fois, c’est assez pénible. Le faire autant de fois qu’on a de sociétés de gestion partenaires, c’est encore plus pénible ! Dans IZNES, une fois qu’on a réalisé le KYC et qu’il a été validé par la plateforme, ce questionnaire et les documents qui lui sont associés sont partageables à l’initiative du trésorier, avec toutes les sociétés de gestion de son choix qui sont présentes sur la plateforme. Autrement dit, l’investisseur qui entre en relation avec Iznes et qui fait son KYC le fait une fois, pas deux, quel que soit son nombre de fournisseurs.
Pour la mise à jour de son KYC aussi il le fait une fois, pas deux. Donc ça, c’est appréciable côté société de gestion comme côté investisseur.
Q : Quelles sont les limites de la solution ? (00:15:15)
R : Une plateforme est un lieu où se retrouvent producteurs et consommateurs de fonds. Aujourd’hui, les limites de notre solution tiennent à la jeunesse de la plateforme ; c’est encore en construction au sens où il y a encore des gros fabricants de Fonds monétaire qui sont en train d’onboarder la plateforme ou qui songent à le faire, mais qui ne sont pas encore connectés. Par conséquent, l’offre de Fonds monétaire est belle, mais pas suffisamment complète.
Pour un trésorier d’entreprise, ça veut dire qu’il ne va pas nécessairement trouver tous ses fournisseurs à date. Pour certains de nos clients, ça n’est pas problématique et ils opèrent avec leur circuit traditionnel d’investissement et IZNES à côté pour les fonds qui sont référencés.
Quand on regarde l’offre en termes de Fonds monétaires sur IZNES, on voit que dans un best of year to date, donc de performance de Fonds monétaire en 2021, parmi les 20 premières parts de fonds disponibles dans une sélection qu’on avait faite sur Europerformance, on avait 8 parts référencées.
Q : Comment perçois-tu la relation entre banques et Fintech ? (00:17:19)
R : Généralement, les relations entre les banques et les Fintech ne sont pas bonnes. Pour illustrer, on peut citer les critiques récemment faites par le représentant de la Fédération bancaire française récemment. Il y a d’ailleurs eu une réaction très intéressante de la part du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui a répondu directement à ce représentant de la Fédération bancaire française en disant “Travaillez mieux ensemble, parce qu’il me semble que vous vous trompez d’adversaires. Vos adversaires ne sont pas les fintechs mais les GAFAM, qui un jour, à force de faire des paiements, vont faire du crédit et vont faire du placement”.
Voilà pour le tableau général de la possible crispation entre le monde des Fintech et le monde des banques au sens large. Mais de notre côté, on n’observe pas ça.
On observe des comportements plus collaboratifs, plus ouverts et plus constructifs. Ils peuvent nous voir comme leur prenant une partie du marché mais, voyant cette évolution se réaliser depuis maintenant trois, quatre ans, ils sont arrivés à la conclusion qu’ils allaient se repositionner sur des services à plus forte valeur ajoutée et qu’il fallait abandonner ce segment.
Pour faire une comparaison dans un autre secteur de l’économie, on peut prendre les compagnies aériennes et des agences de voyages dans les années 90 pour ceux qui ont connu. A l’époque, pour acheter un billet d’avion, il fallait aller dans une agence de voyage. C’était une époque où les compagnies aériennes ne connaissaient pas leur client parce que la vente de billets se faisait à travers un réseau d’un ou plusieurs réseaux d’agences de voyages.
Q : Demain, toutes les transactions ne passeront non plus par les banques, mais par des solutions blockchain ou des solutions équivalentes ? (00:19:47)
R : J’en suis convaincu. Et après-demain, en 2024, les banques centrales vont proposer une nouvelle modalité de circulation de la monnaie Banque centrale, donc une monnaie numérique de Banque centrale. IZNES a participé à une expérimentation en fin d’année dernière avec la Banque de France où l’on a, dans une même journée, acheté des Fonds monétaires justement en payant avec une monnaie numérique de Banque centrale qui avait été émise le jour même par la Banque de France. Fonds monétaires que l’on a revendus l’après-midi – de vrais Fonds monétaires avec du vrai argent ! – et on a rendu à la Banque de France cette monnaie digitale de Banque centrale en fin de journée.
On a donc apporté la preuve que l’on pouvait utiliser un nouveau moyen de paiement sans passer par les banques commerciales. A cet horizon-là, on peut alors très raisonnablement penser que l’on pourra se passer des banques commerciales y compris pour la partie paiements. Le circuit complet juridique et paiement pourrait se faire de manière complètement désintermédiée.
Il n’y a aucune obligation dans ce fonctionnement, donc je pense qu’il y aura des acteurs qui préfèreront peut-être garder un circuit de paiement traditionnel.
Si on revient au secteur aérien, les évolutions sont très similaires. On avait un ensemble de compagnies aériennes qui se sont structurées pour construire des plateformes de ticketing. Aux États-Unis, la plateforme s’appelle Sabre, en Europe elle s’appelle Amadeus, et elles existent toujours ! Les opérateurs, les fournisseurs de voyages, ont décidé de coopérer entre concurrence, ce qui n’est pas toujours évident, pour construire leur propre infrastructure. Depuis, les compagnies aériennes connaissent très précisément leurs clients, font des offres adaptées, des programmes de fidélité, etc. Des choses qu’elles ne pouvaient pas faire avant puisqu’elles ne les connaissaient pas. Donc voilà aussi un mouvement de désintermédiation.
En se plaçant maintenant du point de vue des banques, c’est-à-dire des agences de voyage, elles font d’autres choses et des choses beaucoup plus intéressantes. Elles packagent des voyages, font de la logistique dans des pays lointains, des propositions culturelles. Elles sont montées en gamme, elles ne font plus de la marge sur le billet d’avion ou de train mais proposent autre chose. Je pense que l’on peut observer la même chose avec les banques.
(00:22:40) Merci beaucoup pour ton témoignage et toute cette vision du présent et du futur. A bientôt Christophe !
-Merci Jean-François.