Bonjour Jean, je suis content de t’accueillir et merci d’avoir accepté mon invitation. Nous faisons une série de podcasts sur les cryptomonnaies et les NFT, et cette fois on va avoir, avec toi, le témoignage d’un trésorier sur ce sujet. C’est particulièrement intéressant, car tu vas nous parler d’un cas d’usage au sein d’un grand groupe.
Je suis Jean Torrens, actuellement trésorier au sein du groupe Havas au service de trésorerie centrale du groupe. Je suis rattaché à diverses missions du service trésorerie de façon assez large et plus précisément sur les projets liés à différents enjeux liés aux blockchain et cryptomonnaies, et à la gestion de ce nouvel écosystème dans le cadre d’une trésorerie.
Pourquoi ce sujet est-il arrivé chez Havas et quelles ont été les premières prémices ? (00:05:03)
C’est très récent, c’est arrivé il y a quelques mois à peine, petit à petit mais de façon assez rapide.
Le groupe est un réseau d’agences publicitaires et de communication réparti à travers le monde. On a commencé à avoir quelques échos de certaines agences qui aient ressentaient certains besoins liés au besoin de pouvoir encaisser ou régler en cryptomonnaie, que ça soit dans le cadre d’appels d’offres ou de relations avec des clients ou fournisseurs déjà existants. Ces demandes remontaient jusqu’à la trésorerie, et à ce moment-là on n’était pas en mesure de pouvoir gérer ces cryptoactifs.
Donc la réponse au début était plus ou moins la patience et de pouvoir réfléchir ensemble à tout ça, pour ensuite apporter plus tard une réponse plus concrète et une solution fiable.
Et le sujet a vraiment été lancé au sein du groupe lorsqu’est arrivé sur la table le projet d’acheter pour Havas ce Land dans le Métavers Sandbox. Il faut évidemment pouvoir stocker ce land, qui est un NFT sur la Blockchain Ethereum, pouvoir le gérer, réaliser des transactions, que ce soit avec la cryptomonnaie de de Sandbox qui est le Sand ou avec d’autres cryptomonnaies.
A ce stade, le sujet était vraiment lancé via ce projet métaverse.
Quel impact cela a-t-il eu en termes de flux de trésorerie ? (00:06:43)
Ca veut dire être en capacité d’acheter des cryptomonnaies, car dans un premier temps on n’en possède pas directement via notre activité. Il faut donc avoir accès au marché des cryptomonnaies car les NFT, notamment ce land, se règlent uniquement via ce moyen.
Il faut aussi pouvoir réaliser cette transaction : nous n’étions pas en mesure dans un premier temps de gérer ce type de flux, donc on a fait appel à un prestataire externe qui a pu gérer cela pour nous avec ces process bien sécurisés. Cela, le temps que nous mettions en place de notre côté des process sécurisés qui correspondent aux normes de compliance et de sécurité financière du groupe.
Comment avez-vous sélectionné le prestataire ? (00:07:53)
Dans un premier temps, ce projet d’achat de land a été géré par les équipes business qui ont eux-mêmes choisi le prestataire avec qui travailler. La trésorerie, à ce niveau-là du projet n’avait pas encore été impliquée.
La trésorerie a été impliquée par la suite, au moment où on nous a demandé d’ouvrir un Wallet pour réceptionner ce NFT.
C’est la trésorerie qui gère le Wallet et qui y a accès pour le reporting ? (00:08:40)
Oui, on a choisi d’ouvrir un Wallet Groupe chez le prestataire. Le but, c’est de pouvoir ouvrir un Wallet pour chaque agence, chaque filiale qui aurait un besoin, le gérer et le proposer avec les normes de compliances qui respectent tout le process du groupe. L’idée est vraiment de gérer ça de manière centrale au niveau de la trésorerie.
Est-ce la trésorerie qui passe les ordres ? (00:09:17)
Tout comme cela serait le cas avec la gestion FX des devises par exemple, c’est la même chose au niveau des crypto monnaies. On a vraiment reporté ce schéma de process qu’on a avec des doubles validations et les personnes habilitées à réaliser ce type d’opération qui sont, chez nous, les trésoriers du groupe et qui sont en capacité de réaliser toutes ces transactions d’achat, vente, etc.
Comment la trésorerie gère-t-elle la très forte volatilité des cryptomonnaies ? (00:09:51)
Ca a été un sujet très important quand on a commencé à évoquer la gestion et la possibilité pour le groupe d’accepter ce nouveau moyen de paiement.
La politique de couverture la plus simple, c’est de ne pas faire de conservation en cryptomonnaie de convertir le plus rapidement possible en monnaie Fiat. Notre politique : aucune conservation des des cryptos actifs qu’on pourrait recevoir et aucune conversion dans un but spéculatif de devises Fiat vers les cryptomonnaies.
Le sujet des couvertures nous intéresse grandement évidemment et, tout comme on a l’habitude de travailler des couvertures sur le FX avec les devises étrangères, on souhaite aussi s’approprier ces process de couverture sur les crypto actifs. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas encore mis le doigt sur une solution fiable à ce niveau-là, donc on sonde toujours le marché pour peut-être découvrir le produit magique qui permettra de se couvrir sur des achats ou des ventes futures en crypto-actifs.
Vous restez tout de même exposés à la valeur du NFT. (00:11:23)
Le sujet NFT est assez particulier car il est encore difficile de savoir si la valeur de certains NFT est adossée à une devise fiat ou à une cryptomonnaie, auquel cas on reste vraiment exposés. C’est plus difficile encore de se couvrir là-dessus.
Avec l’achat du Land, on savait très bien qu’on allait s’exposer à la valeur de ce NFT, de ce terrain dans le metaverse. C’était un risque que l’on était prêts à prendre et à assumer.
Il y a un intérêt financier mais également stratégique dans l’achat de NFT ? (00:12:23)
Exactement. C’est une activité sur laquelle le groupe Havas s’est lancé et souhaite, via ce terrain et ce premier pied qu’on a mis dans cet écosystème, pouvoir vraiment faire notre laboratoire de tests en termes de communication, de publicité, de marketing et pouvoir former nos équipes là-dessus. C’est nécessaire pour montrer à nos clients que l’on maîtrise ces sujets et qu’on sait les porter.
Avez-vous une visibilité sur les prochaines étapes ? (00:13:13)
Tout va très vite, tant les envies de l’écosystème que celles des clients. Côté publicité et marketing, le but est d’accompagner nos clients sur la mise en place de stratégies marketing dans l’écosystème metaverse, de NFT, etc.
Côté trésorerie, on suit le mouvement en travaillant étroitement avec les équipes en charge de ces projets et qui sont en lien avec les clients. On va faire en sorte d’adapter nos process tout en veillant au couple flexibilité-sécurité qui, lorsqu’on tire d’un côté, on perd un peu de l’autre. Nous, on s’assure de ne pas trop tirer du côté flexibilité pour ne pas trop perdre côté sécurité.
L’enjeu, notamment avec les NFT et tout l’écosystème des cryptoactifs, c’est de pouvoir reporter ces process qu’on a habituellement de double validation et autres sur cette gestion des NFT et des cryptomonnaies. On veut pouvoir s’assurer qu’il n’y a pas de risques de fraude, qu’on ne soit pas exposés.
C’est notamment pour ça que je disais tout à l’heure que l’on souhaitait un schéma centralisé au niveau de la trésorerie centrale. Le but n’est pas de suivre à la trace tout ce qui se passedans nos filiales et nos agences, mais de pouvoir avoir un regard large et de pouvoir s’assurer que l’on n’est pas en risque à un moment donné.
On travaille main dans la main avec les équipes opérationnelles qui sont en premier plan de cette révolution. Eux connaissent vraiment les besoins du marché pour que nous derrière, au niveau de la trésorerie, on puisse adapter nos process et trouver les bons outils pour répondre à tous ces besoins.
A quoi ressemble la trésorerie crypto du futur ? Sera-t-elle capable d’internaliser les achats sans passer par des intermédiaires ? (00:15:56)
Avec le schéma qu’on a mis en place pour le lancement, sans dire qu’il est temporaire car on a tout de même étudié la solution pendant de nombreux mois et on sait qu’elle est fiable et durable, mais on sait que l’on devra faire face à un écosystème qui change très vite, avec des nouveautés tous les jours : de nouvelles innovations, solutions de gestion, et même au niveau de la trésorerie, ça évolue extrêmement vite.
Je ne peux pas m’engager en disant que d’ici un an, on n’aura pas changé de process. Il est même certain que nos schémas auront changé, on aura sûrement fait entrer d’autres partenaires pour faire évoluer, puisque nos process évoluent en même temps. Notre schéma actuel n’est pas figé.
On va continuer à surveiller et à rencontrer les acteurs du marché puisque même ceux qu’on a rencontrés à l’époque continuent d’évoluer très vite. Les solutions qu’on a écartées à l’époque auront développé quelque chose de nouveau dans 6 mois qui pourrait nous apporter une nouveauté.
Au-delà de ça, le marché est encore extrêmement jeune et le groupe s’est positionné très tôt, donc les acteurs avec qui on a dû travailler et avec lesquels on va travailler sont des acteurs qui sont propres à cet écosystème des cryptoactifs et de la finance décentralisée. Les acteurs traditionnels n’ont pas encore émergé dans cet écosystème, donc peut-être que d’ici un ou 2 ans, les acteurs traditionnels, les éditeurs de TMS, les banques avec lesquelles on a l’habitude de travailler vont aussi arriver dans cet écosystème et seront sûrement en mesure d’apporter des solutions et des innovations à tout ça. On y reste très attentifs.
Aujourd’hui, la solution qu’on a choisie, qui est de se tourner vers un partenaire de type cryptobanque, a été faite pour les institutionnels et les grandes entreprises. Donc on sait que c’est une solution qui est très sécurisée. Par contre, il y a toujours ce couple flexibilité-sécurité qui fait qu’on a une solution qui est très sécurisée mais peu flexible.
Pour nous, c’est une solution qui convient très bien à l’achat, à la vente, à la réception et l’envoi de fonds en crypto actifs, mais qui va être compliquée à utiliser dans le cadre de projets opérationnels pour le groupe Havas comme réaliser des évènements sur le metaverse, vendre des NFT, manipuler tout ça. C’est une solution qui n’est pas forcément adaptée à ce type d’activité puisqu’elle a été développée pour la gestion de trésorerie. Donc on est toujours dans ce projet d’aller chercher une solution qui va être adaptée à tous nos besoins.
Ce n’est parfois pas facile de faire partie des premiers et de devoir trouver le chemin, mais on sera ravi de partager notre expérience avec nos collègues des autres groupes qui j’espère suivront, et c’est certain.
Un conseil à donner aux trésoriers qui regardent mais n’osent pas ? (00:21:05)
Dans un premier temps, aller discuter avec ceux qui sont déjà passés par là puisque c’est toujours bon d’échanger les conseils.
Il y a beaucoup de choses dans cet écosystème qui se font au bouche à oreille puisqu’il y a de nombreuses entreprises qui sont lancées dans cet écosystème et y sont propres. Il y a donc parfois une barrière entre la finance traditionnelle et la finance décentralisée. C’est justement en allant discuter avec ceux qui sont déjà passés par là qu’on a pu découvrir certaines solutions et certains acteurs du marché.
On sait que les trésoreries dépendent de tous les process groupe et ne sont pas forcément les services les plus flexibles. On essaie de ne pas aller plus vite que les besoins et toujours se rattacher à notre métier, donc aux process qu’on a mis en place et à l’assurance de la sécurité financière du groupe avant tout.
On sait que les équipes opérationnelles vont évidemment plus vite que nous, donc notre but, c’est de suivre sans oublier que derrière, ce sont des cryptomonnaies. Ça peut paraître un petit peu moins concret que le cash traditionnel qu’on gère, mais il y a quand même un enjeu de de sécurité derrière et de de confiance qui reste très important.